Tant d’artistes ! Tant de mouvements ! Trop, sans
doute. Mais alors, qui aimer en art ? Fort heureusement, rien n’est figé
dans les appréciations. Les goûts changent, évoluent.
Le Symbolisme reste pourtant une valeur sûre. De Puvis de
Chavannes à Xavier Mellery, de Franz von Stuck à Eugène Jansson, de Gustave
Moreau à Odilon Redon, nous sommes attachés à ces peintres, qui créent des
rêves en nous. Et puis il y a Fernand Khnopff. On lui réservera une place à
part. Tout en haut.
Khnopff n’a rien du peintre « maudit ». Il a vécu
de son art en Belgique, sa terre natale. Il connut une célébrité raisonnable, qui
dépassa vite ses frontières, et ne s’est jamais démentie. Il continue
aujourd’hui d’être collectionné, exposé, admiré.
Nous nous souvenons d’un bel ensemble de ses œuvres présentées
au Grand Palais, en 1997, dans la remarquable exposition
« Paris-Bruxelles » (commissaires d’exposition Anne Pingeot et Robert
Hoozee). En frontispice du volumineux catalogue avait été choisie Une ville abandonnée. De quoi donner le
ton.
En 2004, la rétrospective Khnopff à Bruxelles avait aussi marqué
nos esprits.
En 2019, le Petit Palais à Paris présente une exposition
intitulée « Fernand Khnopff, 1858-1921, Le maître de l’énigme »
(commissaires d’exposition Michel Draguet, Christophe Leribault, Dominique
Morel). Faut-il préciser qu’elle est à voir absolument ?
Fernand Khnopff, A Fosset, un soir, 1886 |
Après une petite enfance passée à Bruges, ville-souvenirs qui
hantera son œuvre, le jeune Khnopff effectue des études secondaires à
Bruxelles. A l’âge de 17 ans, un passage par l’atelier de Xavier Mellery donnera
l’inflexion au jeune homme, qui trouvera déjà là, chez son maître, de quoi
inventer son propre univers. L’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles et quelques
séjours à Paris parachèveront la formation artistique d’un élève doué, qui
commencera à exposer à Bruxelles dès l’âge de 23 ans. Dans les années 1880,
Fosset, dans les Ardennnes belges, lui inspire de nombreuses toiles.
Fernand Khnopff, A Fosset, le garde qui attend, 1883 |
A la fin du XIXe siècle, il n’y a pas que Paris
dans le monde des arts et des lettres. Bruxelles est aussi un foyer culturel
dense. C’est là où Khnopff vivra. La création du Groupe des XX, en 1883, puis
de La Libre esthétique, en 1894, auxquels participera l’artiste, sont deux témoignages
éclatants de cette avant-garde qui existe à Bruxelles. En 1891, Fernand Khnopff
signe l’affiche de l’exposition des XX. La liste des exposants
impressionne : Angrand, Filiger, Gauguin, Larsson, Pissarro, Seurat,
Sisley, Smits, Van Gogh, Ensor, Finch, Minne, Lemmen, De Regoyos, Rodin, Rops,
Signac, Toorop, Van de Velde, Van Rysselberghe et… Khnopff, bien sûr.
Fernand Khnopff, Une fin de jour, 1891 |
Dans les années 1890, Fernand Khnopff présentera aussi ses
œuvres à Munich, Vienne, Berlin, sans oublier Paris, notamment au Salon de la
Rose-Croix de Joséphin Péladan.
Des villes abandonnées, des campagnes figées, des canaux
désertés, tels sont quelques-uns des thèmes de l’artiste, qu’il porte à son
paroxysme. Mais les portraits, aux visages énigmatiques, fascinent au moins
autant. En dehors des commandes, son modèle est presque toujours sa jeune sœur,
Marguerite, de six ans sa cadette. Tout comme Marthe, chez Bonnard, le temps
n’a pas de prise sur ses traits.
Fernand Khnopff, Madeleine Mabille, 1888 |
Fernand Khnopff, Etude de femme, 1896 |
Le
mouvement symboliste mêle art et littérature. Fernand Khnopff lit Stéphane
Mallarmé, mais aussi Joséphin Péladan, dont Le
Vice suprême lui inspire des dessins. Il voue une grande admiration à ses
amis, et compatriotes, Emile Verhaeren et Georges Rodenbach, dont il illustrera
le chef-d’œuvre, Bruges-la-Morte. Il
compose également une série de cinq lithographies rehaussées de crayons de
couleur pour une édition à tirage limité de Pelléas
et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Toute sa vie, il restera dans son
monde qu’il ne cessera d’explorer, imposant une vision intérieure, fascinante
et intemporelle.
Fernand Khnopff, Avec Georges Rodenbach. Une ville morte (détail), 1889 |
Paris
comprend quelques conservateurs qui dominent leur sujet. Parmi eux, Laurent Le
Bon, directeur du Musée Picasso. Il a présenté, à l’automne dernier, deux expositions
phare : « Picasso, bleu et rose », au Musée d’Orsay, et
« Picasso, chefs-d’œuvre ! » au Musée Picasso. Jamais
expositions Picasso n’avaient été aussi éclairantes – et magnifiques. Les catalogues
en témoignent. L’autre « star » des musées parisiens est Christophe
Leribault, directeur du Petit Palais. Chacune des expositions qu’il propose –
Khnopff, mais aussi, en ce moment, Lequeux – est à visiter. Pour le plaisir des
amateurs d’art, le « match » Le Bon-Leribault comprend deux
vainqueurs. Dans un tournoi, on ne saurait les départager.
Au
Petit Palais, les lumières de l’exposition Fernand Khnopff s’éteindront le 17
mars. Il serait dommage de ne pas les voir briller d’ici là. Il restera, sinon,
le plaisir de prendre un billet pour Bruxelles, et, après ce court voyage,
d’admirer les Fernand Khnopff conservés dans les Musées royaux des Beaux-Arts
de Belgique, la plus grande concentration de Khnopff au monde. De quoi
continuer de rêver…
Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17
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