vendredi 19 août 2016

Eckersberg, Lurçat, Savitry et Viseux : suivez le guide !

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Parmi les innombrables expositions que Paris et sa région proposent en permanence, dont nous ne voyons malheureusement pas le quart, faute de temps, quatre artistes sont mis à l’honneur en ce moment… ou presque ! 

C.-W. Eckersberg, Une pergola, 1814-1816


La Fondation Custodia, rue de Lille, a proposé ces mois derniers la première exposition monographique consacrée à celui qui fut peut-être le plus grand peintre danois du XIXe siècle : Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853). Un autre peintre danois, bien connu celui-là, et que nous admirons tant, Vilhelm Hammershoi (1864-1916), vient, chronologiquement, après Eckesberg. Nous nous souvenons d’ailleurs fort bien de l’exposition Hammershoi à Orsay, et de son inauguration, avec la reine du Danemark, le prince Henrik, sympathique et jovial, coupe de champagne en main, Stéphane Audran… Les amateurs d’art avaient découvert cet artiste, ignoré jusqu’alors en France. Pour Eckersberg, la « gloire » acquise dans notre pays datera de 2016, grâce à la rétrospective (peintures et dessins) proposée à la Fondation Custodia. Il y avait eu, en France, un avant et un après Orsay, pour la connaissance de l’œuvre d’Hammershoi. Il y aura, désormais, pour Eckersberg, un avant et un après Fondation Custodia. 

C.-W. Eckersberg, La Grille de Longchamp au Bois de Boulogne, 1812

Portraits classiques ou allégoriques, scènes de genre observées jusque dans les moindres détails, nus somptueux, voluptueux et audacieux, marines un peu plus raides, mais si belle lumière qui se pose sur chaque être, chaque objet, chaque fragment de paysage, grâce à une palette variée, douce et lumineuse à la fois. Nous aimerions pouvoir dire en danois : Félicitations, M. Eckersberg !



Nous avons évoqué, dans un ancien message du blog, le si bel atelier-musée de Jean Lurçat situé dans le Lot, à Saint-Céré. Qui ne l’a pas visité doit un jour prévoir un voyage dans cette région pour mieux comprendre cette vie dédiée à tant de formes d’art, que fut celle de Jean Lurçat. La leçon marque pour toujours. 

Jean Lurçat, Tapis, Manufacture de la Savonnerie, Paris, 1960


Aujourd’hui, pour célébrer le cinquantenaire de sa mort, une grande exposition Lurçat (1892-1966), se tient aux Gobelins (Métro Gobelins), jusqu’au 18 septembre 2016. O combien méritée, elle est montée par des amoureux de son œuvre, qui en connaissent chaque facette, chaque recoin. Peintures, gouaches, livres illustrés, tapisseries, mobilier, tapis, céramiques… rien n’échappait à l’œil ni à la main de Lurçat, qui voulait tout embrasser dans sa boulimie créative. 
Jean Lurçat, projet pour une causeuse, gouache, 1937



Œuvre souvent très belle, généreuse, poétique, flamboyante, raffinée, même si quelques influences, comme celle de Picasso en premier, se devinent de-ci de-là. Le catalogue est à l’image de l’exposition, c’est-à-dire un modèle du genre. Pour qui souhaiterait connaître la vie et l’œuvre de cet artiste, cet ouvrage est là pour combler ce désir.









Son véritable nom est Dupont. Fils de Félix Dupont et de Cécile Audra, il a pourtant des traits asiatiques. Né à Saïgon en 1903, mort à Paris en 1967, il ne vivra pas en Indochine, mais bien en France où il fera, au début des années 1920, l’école des beaux-arts de Valence. Si, à l’origine, il se veut peintre, il deviendra célèbre par la photographie (tout en ayant laissé une œuvre de peintre également). Après la Drôme, viendra Paris… Logique ! Montparnasse est son  quartier de prédilection. C’est précisément dans cette partie de la ville, dont le passé artistique et littéraire n’est plus à vanter, qu’est situé le Musée Mendjisky-Ecoles de Paris (square de Vergennes, métro Vaugirard) où se tient, jusqu’au 5 octobre 2016, la très belle exposition d’un photographe, non pas connu sous le nom de Dupont, mais d’Emile Savitry.

La galerie SR propose une photographie de cet artiste. Elle aurait pu figurer à l’exposition. Elle représente une personnalité célèbre, notamment dans les années 1930. Il faut franchir le pas de la galerie pour découvrir l’image, et connaître ainsi le nom de l’artiste représenté « sous les feux de la rampe », dirons-nous, par Savitry.

Amis des artistes et des poètes, Savitry les représentera dans de nombreux portraits, pleins d’humanité. Jamais d’esbroufe, mais une simplicité dans la recherche qui permet d’aller à l’essentiel, du côté le plus précieux que peut dégager un regard, un geste. Colette ou Prévert, Brauner ou Marcel Jean affirment leur présence dans des poses où l’attitude exprime un silence, une solitude. Les masques tombent, chez Savitry. Le photographe apprécie également le monde du jazz, du cirque. Claude Luther donne tout ce qu’il peut avec sa clarinette, Django Reinhardt a les yeux d’un doux animal, Stéphane Grappelli l’assurance de sa jeunesse. Parmi ces images, uniquement en noir et blanc, un ensemble représentant Paris la nuit montre l’étendue de l’imagination de l’artiste. Cafés ou caves animés, apaches en compagnie de leur protégée, quais de Seine presque désertés,noire prison de la Santé trouée de faibles halos de lumière. 

Emile Savitry, Paris, brumes nocturnes

L’exposition, très complète, donne enfin à voir les images du tournage de La Fleur de l’âge, film inachevé de Marcel Carné. Réalisé à Belle-Ile-en-Mer en 1947, ce film, que le cinéaste jugea raté – et qui le fâcha en partie avec son dialoguiste Jacques Prévert – offrait pourtant une distribution de premier plan avec les très jeunes Anouk Aimée et Serge Reggiani, mais aussi Arletty, Martine Carol, Jean Tissier, Paul Meurisse… De cette aventure, qui tourna court, seules les photographies des comédiens, du metteur en scène, du dialoguiste et des techniciens, prises alors en décor naturel par Emile Savitry, atténuent ce sentiment d’échec pour constituer aujourd’hui, à l’inverse, un témoignage fort et unique. 
Emile Savitry, Anouk Aimée et son chat Tulipe, Belle-Ile, 1947
Emile Savitry, Serge Reggiani, Belle-Ile, 1947





Un ouvrage intitulé Emile Savitry, un photographe de Montparnasse, est en vente sur le lieu de l’exposition. Publié en 2011 à l’occasion d’une exposition Savitry qui se tint alors au musée de l’Illustration de Valencia, en Espagne, ainsi qu’au musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne, il reste comme un document parfait sur l’artiste.








Au XXe siècle, il y eut, par exemple, Pol Bury ou Albert Féraud, comme sculpteurs de l’acier. Il y eut aussi Claude Viseux (1927-2008), qui aura laissé lui aussi une trace ineffaçable.

Claude Viseux, sculpture en acier inoxydable

 Beaucoup de musées de la région parisienne se sont rénovés ces dernières années pour devenir des lieux d’exposition dignes de ce nom. Il en est ainsi du Musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq, situé à L’Isle-Adam, dans le Val d’Oise (50 minutes de la gare du Nord en Transilien). La directrice du musée, Caroline Oliveira, a eu la bonne idée de présenter cet été (jusqu’au 25 septembre 2016) une exposition consacrée à Claude Viseux, né tout près, à Champagne-sur-Oise. L’épouse de l’artiste, Mme Micheline Viseux, par ses prêts, a contribué grandement à la réussite de cette présentation. Dans l’œuvre du créateur on remarque avant tout les sculptures. Celles des années 1960, en acier inoxydable, les plus célèbres et recherchées des amateurs, ont notre préférence. Mais celles faites plus tardivement, en Inde, par exemple, montrent un renouvellement bien maîtrisé par Claude Viseux. L’artiste a également réalisé de nombreux collages. Nous n’avons jamais été vraiment amateur de cette forme artistique, souvent un peu facile, mais Viseux parvient à intéresser par les formes simples et directes qu’il compose sur ses papiers. 

Claude Viseux, Trois Instables, collage sur papier, 1977

Un court métrage sur le travail de Viseux est projeté dans l’exposition. Soutenu par une musique de Pierre Henry il est une œuvre d’art en soi à ne pas manquer. Pas de doute, nous sommes en pleine folie hallucinante des années 1970. Un autre film sur Claude Viseux, un documentaire cette fois, est aussi d’un grand intérêt pour comprendre l’esprit que le sculpteur voulut insuffler à son art, dans ses œuvres monumentales comme dans ses pièces plus réduites.
Musée Louis-Senlecq, L'Isle-Adam


Un catalogue, bien fait, en vente à l’accueil (fort aimable) du musée garantit la pérennité de ce moment Viseux à L’Isle-Adam.


Trois musées de la région parisienne se sont associés ces mois derniers pour présenter une exposition conjointe dont le thème était la Seine. Ces « Belles boucles de la Seine » étaient visibles dans les musées d’Issy-les-Moulineaux, de Meudon et de Sceaux. Trois accrochages agréables, que nous vîmes, montrant des bords de Seine, au XIXe siècle, peints par des « petits maîtres », on ne peut plus délicieux ou charmants, des artistes de Barbizon, des Impressionnistes, des Divisionnistes… Le succès est toujours au rendez-vous pour une telle peinture, qui touche tout un chacun.

Plus difficile est d’intéresser à la sculpture, qui attire en général moins de public. Plus difficile est de présenter un artiste comme Claude Viseux, dont le nom restera dans l’histoire de l’art, malgré un travail apprécié, pour l’instant, surtout des spécialistes. Il faut donc saluer cette initiative audacieuse, et ambitieuse, que prend le musée de L’Isle-Adam en présentant l’œuvre de Claude Viseux. Le risque paye souvent. Allons flâner à L'Isle-Adam...

L'Isle-Adam, Bords de l'Oise





L'Isle-Adam, Bords de l'Oise



 

Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17


vendredi 27 mai 2016

La visite d'atelier : un grand classique


Comme souvent, le Petit-Palais propose une exposition intéressante. Oserait-on dire l’une des meilleures à voir en ce moment à Paris ? Sans doute, avec, par exemple, celle sur Albert Marquet, au Musée d’art moderne, et celles sur Miguel Barcelo, à la BN Mitterrand et au Musée Picasso. Elle concerne le peintre Georges Desvallières (1861-1950) dont l’art, tantôt symboliste, tantôt expressionniste, est chargé d’émotion. Grand coloriste, ses tons rouge, jaune, vert éclatent dans des grands formats, qu’il n’hésite pas à réaliser.

Georges Desvallières
Chacun peut admirer cette peinture, fougueuse, puissante, mystique, exaltée. Aux côtés de Georges Rouault et de Maurice Denis, Georges Desvallières est considéré comme un peintre « chrétien ». Il a, certes, réalisé beaucoup de vitraux, décoré, à Paris, la chapelle Saint-Yves, exécuté le Chemin de croix de l’église du Saint-Esprit, peint de nombreuses scènes religieuses, mais il a aussi réalisé des portraits, des autoportraits, des scènes d’intérieur, des nus… A défaut de visiter l’exposition, l’acquisition du catalogue, au titre parfait (Georges Desvallières, la peinture corps et âme), donne une bonne idée de la dimension de cet artiste, même si les pages imprimées en mat éteignent un peu les œuvres. Mais telle est la nouvelle « mode » des catalogues d’exposition à Paris. Ils sont imprimés en mat, plutôt qu’en satiné. 




 
Georges Desvallières, Hercule au jardin des Hespérides, 1913

Toujours au Petit-Palais, on peut voir également une exposition intitulée : « Dans l’atelier, l’artiste photographié, d’Ingres à Jeff Koons ». Tout un programme !
L’ensemble d’œuvres photographiques présenté ne manque pas d’intérêt. Il tente de montrer l’antre du peintre, du sculpteur ou du photographe, cette pièce souvent secrète, que l’on « visite » malgré tout, si tant est que l’artiste veuille bien nous en ouvrir la porte. L’atelier est toujours nimbé d’un halo de prestige, car l’artiste, comme l’écrivain, est censé représenter un être un peu supérieur, qui nous montre des terres inconnues, avec sa sensibilité propre. Il est mystérieux aussi, ce qui ajoute à la fascination qu’il exerce la plupart du temps. Dans l’atelier, l’artiste concentre son travail, mais aussi ses rêves, ses désirs, ses faiblesses, ses aspirations de grandeur, parfois de gloire. Dans l’atelier, conforté par les objets qui lui permettent de créer, l’artiste cache aussi ses secrets (parfois de fabrication), autrement dit toute sa préparation-méditation-concentration-action, qui jaillit tantôt spontanément, tantôt à travers un long cheminement. Chaque cas est unique – et pour tout dire, passionnant.
Comment se fait-il, alors, que l’exposition du Petit-Palais lasse assez vite le regard ? N’y a-t-il pas trop d’images accrochées ? Ce principe de mélanger photographies « historiques », du siècle passé, et contemporaines ne crée-t-il pas une confusion ? N’eût-il pas mieux valu présenter une exposition plus restreinte, qui se serait arrêtée aux années 1940, par exemple, et montrer, ultérieurement, les ateliers de l’après-guerre jusqu’à nos jours ?
Les écrivains d’art, les critiques d’art, les conservateurs, les collectionneurs et les galeristes fréquentent les ateliers d’artiste. Enfin, ceux qui leurs sont ouverts, ce qui n’est pas toujours le cas, ou bien à force de patience !
La Galerie SR ne fait pas exception à la règle. Nous fréquentons, et avons beaucoup fréquenté, par dizaines, des ateliers. Nous pourrions montrer ces artistes dans leur univers… si nous avions osé les prendre en photographie ! C’est un exercice délicat, car de l’ordre de l’intime, et nous n’avons pratiquement jamais eu l’audace de leur demander de poser devant notre objectif. Tant pis !

James Guitet, Suite dômienne, 1992


Les rencontres dans les ateliers sont presque toujours mémorables. De Michel Seuphor, le méthodique, à Balthus, le supérieur, de René-Jean Clot, le possédé, à James Guitet, le cérébral, de Jean Piaubert, le bienheureux, à Pierre-André Benoit, le malheureux… Tant d’autres…
Voici, comme exemple, présenté à la galerie en ce moment, un artiste qui nous a ouvert les portes de son atelier : James Guitet (1925-2010).

James Guitet, Suite dômienne, 1992

Pour donner une touche un peu littéraire à ce blog, voici, extrait de La Cavalière Elsa, comment Pierre Mac Orlan, en 1921, décrivait l’atelier d’un peintre, héros de son roman. De manière bien littéraire, aussi ! Cela nous ramène à Montmartre, au temps de notre précédent message sur Suzanne Valadon et son fils Maurice Utrillo :

« Bogaert occupait à Montmartre un atelier, une chambre et une cuisine transformée, selon l’heure, en cabinet de toilette. A travers les baies vitrées de son appartement, il apercevait les branches d’un lilas, Paris, ses cheminées, la ligne bleue des collines, un des spectacles les plus attristants de la création. La vie grouillait en bas, entre ces cubes percés de fenêtres, dans les rues que l’on ne pouvait voir de l’atelier. Au loin, l’herbe et les arbres s’assemblaient pour ne point décevoir les Parisiens qui ne peuvent imaginer la vie harmonieuse sans voisins.
L’atelier de Bogaert était meublé selon les goûts d’un homme du Nord ; toutes les portes fermaient bien, les cuivres brillaient, et les livres sur trois côtés étageaient leurs couvertures diverses jusqu’au plafond. Ce sont les livres qui donnent à la vie son cours normal. Ils s’imposent à nos actes, à nos gestes, à nos peines, à nos plaisirs. Il est impossible de concevoir la vie sans les livres, elle se résorberait et finirait par disparaître. Tout ce que les hommes inventent, aiment ou méprisent correspond à l’influence d’un ou plusieurs livres adaptés à l’humeur de chacun. Si les livres n’étaient nécessaires à l’existence de l’homme comme l’eau qu’il boit et l’air qu’il respire, il est à présumer que la profession d’écrivain, loin d’honorer son homme ou plus simplement de lui permettre de vivre, aurait depuis longtemps disparu du monde. Les imbéciles sincères, ceux qui sont doux au toucher, auraient même apporté quelque férocité dans l’élimination de ces inutiles. Bogaert vivait toujours sous l’influence d’un livre. Il ne concevait la misère que pour l’avoir vue définitivement peinte dans les livres spéciaux. Il s’intéressait à l’amour parce que dans les livres, il est, parfois, question de l’amour. Quant à la volupté sous toutes ses formes, elle n’existe que littérairement : ce n’est qu’une anticipation, ou un souvenir.
Bogaert travaillait afin de perfectionner son isolement et pour ne pas oublier les créations intellectuelles nécessaires à son existence. Il peignait et gravait comme d’autres font leur pain et leur vin. Quelques personnes s’inquiétaient devant ses œuvres, assez rapidement d’ailleurs, car la présence d’un artiste, sa connaissance, quand elles supposent une certaine intimité avec celui qui en bénéficie, diminuent l’œuvre qui est immobile et que le mouvement dissocie. »

Nous aurions bien aimé rencontrer Bogaert dans son atelier. Découvrir, sous un livre, un tube de vert ou un pinceau. Pour les lui tendre. Négligemment.


Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
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mardi 9 février 2016

Ces musées faussement secrets de Paris



L’art n’est pas à chercher dans les blogs ni dans les sites. Pas vraiment davantage dans les livres. A peine plus dans les galeries (enfin, certaines, c’est ce que nous essayons de croire…) Non, il est avant tout à contempler dans les Musées des beaux-arts – attention, les vrais ! – dont on ne fait une consommation jamais assez effrénée. L’overdose, dans ce domaine, n’existe pas.
Paris en ce domaine – avec Londres et New-York – est incomparable, même si la province se défend bien, un peu partout, dans chaque région, dans chaque département, avec toujours quelques chefs-d’œuvre présentés, qu’il est bon d’aller saluer de temps à autre. Mais Paris…


Tout le monde vit, ou vient, à Paris, notamment pour la richesse artistique et littéraire qu’offre la grande ville. L’exemple des musées est sans doute – avec celui des théâtres – le plus caractéristique. On ne va pas énumérer ici les musées les plus célèbres de la capitale, mais s’en tenir à quelques-uns, que les vrais amoureux de l’art connaissent. Nous les apprécions pour diverses raisons, à commencer par le fait qu’ils ne sont pas remplis de visiteurs, ce qui permet de les apprécier en général calmement. Ils se tiennent souvent dans des maisons anciennes, au fond de cour ou de jardin, sont parfois entourés de verdure, ou bordent des parcs. Y pénétrer plonge dans un passé éternel. Le temps suspendu est exactement là. Une partition, une écritoire, une palette semblent être juste délaissées par un maître des lieux qui ne saurait tarder à revenir. On sent encore la présence de grands artistes qui ont hanté ces murs. Pour le visiteur, des bancs, ici ou là, permettent d’admirer les œuvres, de lire, d’écrire ou de rêver. Une âme, un charme, une présence amie, c’est ce que l’on recherche en poussant la porte de ces lieux faussement secrets, et qu’il faut découvrir, pour qui ne les connaît pas. Il y en a beaucoup et le choix est difficile à faire. Tentons néanmoins d’en citer quelques-uns :

Le musée Cernuschi, le musée de la Chasse et de la Nature, la Fondation Dubuffet.
Quatre autres se détachent également, peut-être nos préférés : le musée Bourdelle, le musée de Montmartre, le musée Gustave Moreau et le musée de la Vie romantique.

Comment passer une année sans aller les saluer ? Tous présentent une collection permanente, mais tous ont aussi à cœur d’organiser des expositions temporaires. L’hiver est une bonne saison pour leur rendre visite.
Le musée Bourdelle présente (jusqu’au 26 mars 2016) une exposition intitulée : « Rhodia Bourdelle, récit d’une vie, histoire d’un musée ». Le musée de la Vie romantique s’attarde (jusqu’au 28 février) sur « Thomas Couture » (que l’on a également plaisir à voir en permanence au musée de Beauvais), mais aussi sur une exposition intitulée : « Visages de l’effroi, violence et fantastique de David à Delacroix ». Une vraie réussite avec des artistes plus ou moins connus, mais un choix d’œuvres de première qualité, qui donne envie d’en savoir davantage sur certaines signatures. Quand aux musées Gustave Moreau et de Montmartre, voici leur actualité.

Le musée Gustave Moreau

Au 14, rue de La Rochefoucauld (jusqu’au 25 avril, beau catalogue) le musée Gustave Moreau, qui organise une exposition temporaire tous les deux ans, (on se souvient, par exemple, d’un remarquable « Huysmans/Moreau »), s’attache cette fois à associer un élève et son professeur dans une exposition intitulée : 


« Gustave Moreau et Georges Rouault, souvenirs d’atelier ».

Outre Rouault, on sait que Moreau eut beaucoup d’élèves qui apprécièrent son enseignement, parfois lui vouèrent un véritable culte. Parmi eux, les noms de Henri Matisse, Albert Marquet, Charles Camoin, Henri Manguin viennent à l’esprit, mais également d’autres artistes aussi différents et personnels que Simon Bussy, Henri Evenepoel et Léon Lehmann.

 

L’exposition met en avant chaque lien qui unit Gustave Moreau (1826-1898) à Georges Rouault (1871-1958). Pour cela, des œuvres, dessinées ou peintes, reprennent des thèmes communs à ces artistes, comme celui du sacré, traité par les deux hommes croyants. Des vitrines bien documentées s’attardent sur des correspondances, des photographies, notamment dans l’atelier de Moreau, des livres ou des témoignages du cadet sur son aîné. Des citations bien choisies éclairent également ces liens. Des éléments biographiques, succincts, permettent de compléter cet ensemble, où l’on apprend, par exemple, qu’à la mort de Gustave Moreau, Georges Rouault devint, en 1902, le premier conservateur de sa maison-musée que le peintre symboliste avait léguée à l’Etat, celle-là même que l’on visite aujourd’hui avec bureau et chambre « dans leur jus ». Rouault officiera à ce poste jusqu’en 1932. Quels sont ses témoignages sur celui qu’il nommait son « guide le meilleur » ? En voici un exemple : 

Georges Rouault, Coriolan chez Tullus, roi des Volsques, 1894.

« A l’atelier de l’Ecole des Beaux-Arts, Gustave Moreau arrivait le premier pour nous corriger et partait le dernier, on le rencontrait à la cour du Mûrier ou dans quelque coin avec son petit album ; il dessinait comme un étudiant entre la fin de sa correction et la séance de l’Institut, déjà souffrant, toujours vaillant et gai. »

Comment ne pas aimer pareil professeur ? A son jeune élève, pour lequel il semblait avoir comme une préférence, Gustave Moreau prodigua des conseils qui furent appris, mis en pratique et respectés tout au long de la vie d’artiste de Rouault. Citons :

Georges Rouault, Saintes Femmes au calvaire, vers 1940.

« Regardez la nature et les maîtres anciens ; eux seuls vous feront accoucher ; ne vous laissez pas trop prendre et porter au courant du succès des modes passagères, d’où qu’elles viennent. »

Ou encore ces paroles qui montrent combien le professeur avait eu une vision juste des prédispositions hors normes de son élève : 

Gustave Moreau, Saint Jean Baptiste.

« J’ai toujours eu et j’aurai toujours la plus extrême confiance dans votre bel avenir et dans l’éclosion complète des dons rares qui vous ont été accordés. »

Parmi les documents présentés, une lettre de 1894, très émouvante, de Georges Rouault à Gustave Moreau se termine par ces mots (Archives du musée Gustave Moreau) : 

Gustave Moreau, Fée dans une grotte.

« En attendant le bonheur de vous revoir, mes parents et moi nous vous envoyons tous nos meilleurs vœux. Votre élève qui vous aime G. Rouault. »

Les différents témoignages ont toujours concordé pour dire que Gustave Moreau, en dehors d’avoir été l’un des plus grands peintres de son temps, fut un professeur « aimé ». Georges Rouault eut bien raison de le dire, et même de l’écrire, à son cher maître.

Le musée de Montmartre

Tout le monde est sûr de connaître Montmartre : voilà la grande illusion ! Chacun connaît, en effet, le Lapin Agile, le Sacré Cœur, la place du Tertre, ses escaliers, son funiculaire, qui y monte ou descend. Mais Montmartre, c’est bien plus que cela. C’est un village, ou plutôt une ville dans la ville, c’est aussi une commune qui se veut « libre ». Connaître Montmartre, c’est arpenter la rue du Mont-Cenis d’un bout à l’autre, c’est boire un café rue Francoeur, passer indifféremment de l’avenue Junot au passage des Cloÿs, dîner dans un restaurant afghan rue Paul Albert. Montmartre, c’est tout un monde, un peu « à l’ancienne » qui subsiste – avec ses « résistants » qui ne jurent que par leur quartier, dont certains n’en bougent jamais. Il y a un peu plus d’un siècle de cela, lorsque cette butte était à l’écart du cœur de la grande ville, certains habitants de Montmartre n’avaient jamais vu couler la Seine…
Alors que, feu le musée du Montparnasse, au charme fou lui aussi, a, hélas !, été abandonné par la précédente municipalité, celui de Montmartre perdure, sans doute le côté « résistant » du coin.
Au 12, rue Cortot (jusqu’au 13 mars, beau catalogue) le musée de Montmartre nous enchante avec un trio immortel dans une exposition intitulée :

« Valadon, Utrillo et Utter, 12 rue Cortot : 1912-1926 ».


S’il existe souvent des duos d’artistes, il est aussi des trios, regroupant des êtres indissociables, comme Valadon, Utter et Utrillo, que l’on a souvent nommé la « Trinité maudite ». L’exposition permet d’éclairer et de comprendre les liens qui unirent cette trinité.

Suzanne Valadon, Louise nue sur le canapé, 1895.
Que peignait-on principalement à l’époque ? Des portraits, des nus, des paysages, des natures mortes, des scènes de genre. Après avoir posé pour d’autres grands peintres, Suzanne Valadon (1865-1938) a réalisé tout cela. Son art excelle dans ces domaines, mais aussi à travers diverses techniques. A la pointe sèche, son œil lui permet de restituer des scènes intimes de nus, souvent à la toilette. A l’huile, de faire des portraits de ses amis comme Eric Satie avec lequel elle eut une brève liaison en 1893. Au seul grand amour de sa vie, le compositeur des Gnossiennes dédiera deux œuvres et lui écrira : « Cher petit Biqui, Impossible de rester sans penser à tout ton être ; tu es en moi toute entière partout ; je ne vois que tes yeux exquis, tes mains douces et tes petits pieds d’enfant. » 

Suzanne Valadon, Mme Kars, 1922.
Suzanne Valadon, Le Château de Ségalas, 1923.
Suzanne Valadon, Nu au canapé rouge, 1920.
D’autres portraits, de son fils, de son mari, de Mme Kars (femme du peintre Georges Kars)… montrent le goût de Suzanne Valadon pour ce sujet. Ne disait-elle pas « Je peins les gens afin de les connaître » ? Mais tous les thèmes l’inspiraient. Même si ce n’est pas une découverte, parmi les femmes peintres de son temps, Suzanne Valadon figure au premier rang.

André Utter, Autoportrait.
André Utter (1886-1948) était Montmartrois. Après avoir fréquenté la « bohème » de Montmartre, chère à Francis Carco, André Dignimont, Aristide Bruant, Pierre Mac Orlan, André Salmon, Gen Paul et tant d’autres, ce peintre autodidacte se lia d’amitié avec Maurice Utrillo qui lui présenta sa mère. Malgré la différence d’âge, à partir de 1909, il partagea avec elle de nombreuses années de sa vie. Ce fut parfois houleux. Jusqu’en 1926 il vivra au 12 rue Cortot (aujourd’hui musée de Montmartre) avec sa compagne et son ami Maurice. 





André Utter, Le jardin de la maison d'Utrillo, 1913.
En 1923, l’acquisition du château de Saint-Bernard, dit parfois « Château Utrillo » (près de Belleville-sur-Saône, dans le Beaujolais, château aujourd’hui classé et qui se visite, notamment en été) permettra la création de paysages de cette région d’élection. Pendant vingt ans il vivra entre la province et Paris, avant de finir ses jours rue Cortot. Sans avoir la personnalité de Valadon et d’Utrillo, son art est très estimable.








Maurice Utrillo, Butte-Pinson à Montmagny, 1908-1909.
La vie légendaire de Maurice Utrillo (1883-1955) n’en fait pas moins un artiste souvent méprisé. On lui reproche une œuvre facile, répétitive, sans inspiration. Pourtant, peut-on imaginer Montmartre sans les tableaux d’Utrillo ? Loin du peintre médiocre que l’on présente parfois, les rues montantes et descendantes de son quartier, représentées sous son pinceau, dégagent une atmosphère chaleureuse, intime, unique, qu’une quasi absence de personnages plonge dans quelque chose d’éternel. 


Maurice Utrillo, Le Moulin de la Galette, 1922.
L’alcool, qui l’aidait à travailler, n’a jamais réussi à le détruire vraiment, puisque l’œuvre est là. Personne d’autre que lui n’a « senti » Montmartre aussi bien. 






Maurice Utrillo, Rue Cortot, à Montmartre, 1922.
Sa mère, qu’il adora, n’eut de cesse de veiller sur cet enfant fragile, né de père inconnu, tout comme elle-même. Utrillo dira d’elle :

« Ma mère une sainte femme que dans le fond de mon âme je bénis et vénère à l’égal d’une déesse, une créature sublime de bonté, de droiture, de charité, d’intelligence, de courage et de dévouement, une femme d’élite, peut-être la plus grande lumière picturale du siècle et du monde… »


On ne doit jamais tout à quelqu’un, mais Utrillo doit beaucoup à sa mère qui l’aura protégé et se sera tant inquiétée lorsqu’il faisait des séjours en hôpital psychiatrique. 

Au musée de Montmartre, situé là où l’action s’est passée autrefois, on peut voir la reconstitution de la petite chambre dans laquelle Utrillo vivait. 


 On peut voir aussi l’atelier, qui laisse une impression de temps arrêté. Les grandes baies vitrées donnent vers des toits et un ciel qui ont si peu changé. 

 



Non, l’art n’est pas à lire ou voir dans les blogs. Il est à admirer, toute affaire cessante, in situ, à Paris comme en province, dans les vrais et beaux musées qui sont – presque – offerts à la visite.
Alors, que fait-on dimanche ?
Allez hop, hop, hop, plus d’hésitation à avoir : On file au musée ! 




Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17