Comme souvent, le Petit-Palais propose une exposition intéressante.
Oserait-on dire l’une des meilleures à voir en ce moment à Paris ? Sans
doute, avec, par exemple, celle sur Albert Marquet, au Musée d’art moderne, et
celles sur Miguel Barcelo, à la BN Mitterrand et au Musée Picasso. Elle
concerne le peintre Georges Desvallières (1861-1950) dont l’art, tantôt
symboliste, tantôt expressionniste, est chargé d’émotion. Grand coloriste, ses
tons rouge, jaune, vert éclatent dans des grands formats, qu’il n’hésite pas à
réaliser.
Georges Desvallières |
Chacun peut admirer cette peinture, fougueuse, puissante,
mystique, exaltée. Aux côtés de Georges Rouault et de Maurice Denis, Georges
Desvallières est considéré comme un peintre « chrétien ». Il a,
certes, réalisé beaucoup de vitraux, décoré, à Paris, la chapelle Saint-Yves,
exécuté le Chemin de croix de l’église du Saint-Esprit, peint de nombreuses
scènes religieuses, mais il a aussi réalisé des portraits, des autoportraits,
des scènes d’intérieur, des nus… A défaut de visiter l’exposition,
l’acquisition du catalogue, au titre parfait (Georges Desvallières, la peinture corps et âme), donne une bonne
idée de la dimension de cet artiste, même si les pages imprimées en mat éteignent
un peu les œuvres. Mais telle est la nouvelle « mode » des catalogues
d’exposition à Paris. Ils sont imprimés en mat, plutôt qu’en satiné.
Georges Desvallières, Hercule au jardin des Hespérides, 1913 |
Toujours au Petit-Palais, on peut voir également une exposition
intitulée : « Dans l’atelier, l’artiste photographié, d’Ingres à Jeff
Koons ». Tout un programme !
L’ensemble d’œuvres photographiques présenté ne manque pas
d’intérêt. Il tente de montrer l’antre du peintre, du sculpteur ou du
photographe, cette pièce souvent secrète, que l’on « visite » malgré
tout, si tant est que l’artiste veuille bien nous en ouvrir la porte. L’atelier
est toujours nimbé d’un halo de prestige, car l’artiste, comme l’écrivain, est
censé représenter un être un peu supérieur, qui nous montre des terres inconnues,
avec sa sensibilité propre. Il est mystérieux aussi, ce qui ajoute à la
fascination qu’il exerce la plupart du temps. Dans l’atelier, l’artiste
concentre son travail, mais aussi ses rêves, ses désirs, ses faiblesses, ses
aspirations de grandeur, parfois de gloire. Dans l’atelier, conforté par les
objets qui lui permettent de créer, l’artiste cache aussi ses secrets (parfois
de fabrication), autrement dit toute sa
préparation-méditation-concentration-action, qui jaillit tantôt spontanément,
tantôt à travers un long cheminement. Chaque cas est unique – et pour tout
dire, passionnant.
Comment se fait-il, alors, que l’exposition du Petit-Palais lasse
assez vite le regard ? N’y a-t-il pas trop d’images accrochées ? Ce
principe de mélanger photographies « historiques », du siècle passé,
et contemporaines ne crée-t-il pas une confusion ? N’eût-il pas mieux valu
présenter une exposition plus restreinte, qui se serait arrêtée aux années
1940, par exemple, et montrer, ultérieurement, les ateliers de l’après-guerre
jusqu’à nos jours ?
Les écrivains d’art, les critiques d’art, les conservateurs,
les collectionneurs et les galeristes fréquentent les ateliers d’artiste.
Enfin, ceux qui leurs sont ouverts, ce qui n’est pas toujours le cas, ou bien à
force de patience !
La Galerie SR ne fait pas exception à la règle. Nous
fréquentons, et avons beaucoup fréquenté, par dizaines, des ateliers. Nous
pourrions montrer ces artistes dans leur univers… si nous avions osé les
prendre en photographie ! C’est un exercice délicat, car de l’ordre de
l’intime, et nous n’avons pratiquement jamais eu l’audace de leur demander de
poser devant notre objectif. Tant pis !
James Guitet, Suite dômienne, 1992 |
Les rencontres dans les ateliers sont presque toujours
mémorables. De Michel Seuphor, le méthodique, à Balthus, le supérieur, de
René-Jean Clot, le possédé, à James Guitet, le cérébral, de Jean Piaubert, le
bienheureux, à Pierre-André Benoit, le malheureux… Tant d’autres…
Voici, comme exemple, présenté à la galerie en ce moment, un
artiste qui nous a ouvert les portes de son atelier : James Guitet
(1925-2010).
James Guitet, Suite dômienne, 1992 |
Pour donner une touche un peu littéraire à ce blog, voici,
extrait de La Cavalière Elsa, comment
Pierre Mac Orlan, en 1921, décrivait l’atelier d’un peintre, héros de son
roman. De manière bien littéraire, aussi ! Cela nous ramène à Montmartre,
au temps de notre précédent message sur Suzanne Valadon et son fils Maurice
Utrillo :
« Bogaert occupait
à Montmartre un atelier, une chambre et une cuisine transformée, selon l’heure,
en cabinet de toilette. A travers les baies vitrées de son appartement, il
apercevait les branches d’un lilas, Paris, ses cheminées, la ligne bleue des
collines, un des spectacles les plus attristants de la création. La vie
grouillait en bas, entre ces cubes percés de fenêtres, dans les rues que l’on
ne pouvait voir de l’atelier. Au loin, l’herbe et les arbres s’assemblaient
pour ne point décevoir les Parisiens qui ne peuvent imaginer la vie harmonieuse
sans voisins.
L’atelier
de Bogaert était meublé selon les goûts d’un homme du Nord ; toutes les
portes fermaient bien, les cuivres brillaient, et les livres sur trois côtés
étageaient leurs couvertures diverses jusqu’au plafond. Ce sont les livres qui
donnent à la vie son cours normal. Ils s’imposent à nos actes, à nos gestes, à
nos peines, à nos plaisirs. Il est impossible de concevoir la vie sans les
livres, elle se résorberait et finirait par disparaître. Tout ce que les hommes
inventent, aiment ou méprisent correspond à l’influence d’un ou plusieurs
livres adaptés à l’humeur de chacun. Si les livres n’étaient nécessaires à
l’existence de l’homme comme l’eau qu’il boit et l’air qu’il respire, il est à
présumer que la profession d’écrivain, loin d’honorer son homme ou plus
simplement de lui permettre de vivre, aurait depuis longtemps disparu du monde.
Les imbéciles sincères, ceux qui sont doux au toucher, auraient même apporté
quelque férocité dans l’élimination de ces inutiles. Bogaert vivait toujours
sous l’influence d’un livre. Il ne concevait la misère que pour l’avoir vue
définitivement peinte dans les livres spéciaux. Il s’intéressait à l’amour
parce que dans les livres, il est, parfois, question de l’amour. Quant à la
volupté sous toutes ses formes, elle n’existe que littérairement : ce
n’est qu’une anticipation, ou un souvenir.
Bogaert
travaillait afin de perfectionner son isolement et pour ne pas oublier les
créations intellectuelles nécessaires à son existence. Il peignait et gravait
comme d’autres font leur pain et leur vin. Quelques personnes s’inquiétaient
devant ses œuvres, assez rapidement d’ailleurs, car la présence d’un artiste,
sa connaissance, quand elles supposent une certaine intimité avec celui qui en bénéficie,
diminuent l’œuvre qui est immobile et que le mouvement dissocie. »
Nous aurions bien aimé rencontrer Bogaert dans son atelier.
Découvrir, sous un livre, un tube de vert ou un pinceau. Pour les lui tendre. Négligemment.
Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire