L’art n’est pas à chercher dans les blogs
ni dans les sites. Pas vraiment davantage dans les livres. A peine plus dans
les galeries (enfin, certaines, c’est ce que nous essayons de croire…) Non, il
est avant tout à contempler dans les Musées des beaux-arts – attention, les
vrais ! – dont on ne fait une consommation jamais assez effrénée.
L’overdose, dans ce domaine, n’existe pas.
Paris en ce
domaine – avec Londres et New-York – est incomparable, même si la province se
défend bien, un peu partout, dans chaque région, dans chaque département, avec
toujours quelques chefs-d’œuvre présentés, qu’il est bon d’aller saluer de
temps à autre. Mais Paris…
Tout le monde vit,
ou vient, à Paris, notamment pour la richesse artistique et littéraire qu’offre
la grande ville. L’exemple des musées est sans doute – avec celui des théâtres
– le plus caractéristique. On ne va pas énumérer ici les musées les plus
célèbres de la capitale, mais s’en tenir à quelques-uns, que les vrais amoureux
de l’art connaissent. Nous les apprécions pour diverses raisons, à commencer
par le fait qu’ils ne sont pas remplis de visiteurs, ce qui permet de les
apprécier en général calmement. Ils se tiennent souvent dans des maisons
anciennes, au fond de cour ou de jardin, sont parfois entourés de verdure, ou
bordent des parcs. Y pénétrer plonge dans un passé éternel. Le temps suspendu
est exactement là. Une partition, une écritoire, une palette semblent être
juste délaissées par un maître des lieux qui ne saurait tarder à revenir. On
sent encore la présence de grands artistes qui ont hanté ces murs. Pour le
visiteur, des bancs, ici ou là, permettent d’admirer les œuvres, de lire,
d’écrire ou de rêver. Une âme, un charme, une présence amie, c’est ce que l’on
recherche en poussant la porte de ces lieux faussement secrets, et qu’il faut
découvrir, pour qui ne les connaît pas. Il y en a beaucoup et le choix est
difficile à faire. Tentons néanmoins d’en citer quelques-uns :
Le musée Cernuschi, le musée de la Chasse et de la Nature, la
Fondation Dubuffet.
Quatre autres
se détachent également, peut-être nos préférés : le musée Bourdelle, le musée de Montmartre, le musée Gustave Moreau et le musée de la Vie romantique.
Comment passer
une année sans aller les saluer ? Tous présentent une collection
permanente, mais tous ont aussi à cœur d’organiser des expositions temporaires.
L’hiver est une bonne saison pour leur rendre visite.
Le musée
Bourdelle présente (jusqu’au 26 mars 2016) une exposition intitulée :
« Rhodia Bourdelle, récit d’une vie, histoire d’un musée ». Le musée
de la Vie romantique s’attarde (jusqu’au 28 février) sur « Thomas
Couture » (que l’on a également plaisir à voir en permanence au musée de
Beauvais), mais aussi sur une exposition intitulée : « Visages de
l’effroi, violence et fantastique de David à Delacroix ». Une vraie
réussite avec des artistes plus ou moins connus, mais un choix d’œuvres de
première qualité, qui donne envie d’en savoir davantage sur certaines
signatures. Quand aux musées Gustave Moreau et de Montmartre, voici leur
actualité.
Le musée Gustave Moreau
Au 14, rue de
La Rochefoucauld (jusqu’au 25 avril, beau catalogue) le musée Gustave Moreau, qui organise une exposition temporaire tous
les deux ans, (on se souvient, par exemple, d’un remarquable « Huysmans/Moreau »),
s’attache cette fois à associer un élève et son professeur dans une exposition
intitulée :
« Gustave Moreau et Georges Rouault,
souvenirs d’atelier ».
Outre Rouault,
on sait que Moreau eut beaucoup d’élèves qui apprécièrent son enseignement,
parfois lui vouèrent un véritable culte. Parmi eux, les noms de Henri Matisse,
Albert Marquet, Charles Camoin, Henri Manguin viennent à l’esprit, mais
également d’autres artistes aussi différents et personnels que Simon Bussy, Henri
Evenepoel et Léon Lehmann.
L’exposition
met en avant chaque lien qui unit Gustave Moreau (1826-1898) à Georges Rouault
(1871-1958). Pour cela, des œuvres, dessinées ou peintes, reprennent des thèmes
communs à ces artistes, comme celui du sacré, traité par les deux hommes
croyants. Des vitrines bien documentées s’attardent sur des correspondances,
des photographies, notamment dans l’atelier de Moreau, des livres ou des
témoignages du cadet sur son aîné. Des citations bien choisies éclairent également
ces liens. Des éléments biographiques, succincts, permettent de compléter cet
ensemble, où l’on apprend, par exemple, qu’à la mort de Gustave Moreau, Georges
Rouault devint, en 1902, le premier conservateur de sa maison-musée que le
peintre symboliste avait léguée à l’Etat, celle-là même que l’on visite
aujourd’hui avec bureau et chambre « dans leur jus ». Rouault
officiera à ce poste jusqu’en 1932. Quels sont ses témoignages sur celui qu’il
nommait son « guide le meilleur » ? En voici un
exemple :
Georges Rouault, Coriolan chez Tullus, roi des Volsques, 1894. |
« A l’atelier de l’Ecole des Beaux-Arts,
Gustave Moreau arrivait le premier pour nous corriger et partait le dernier, on
le rencontrait à la cour du Mûrier ou dans quelque coin avec son petit
album ; il dessinait comme un étudiant entre la fin de sa correction et la
séance de l’Institut, déjà souffrant, toujours vaillant et gai. »
Comment ne pas
aimer pareil professeur ? A son jeune élève, pour lequel il semblait avoir
comme une préférence, Gustave Moreau prodigua des conseils qui furent appris,
mis en pratique et respectés tout au long de la vie d’artiste de Rouault.
Citons :
Georges Rouault, Saintes Femmes au calvaire, vers 1940. |
« Regardez la nature et les maîtres
anciens ; eux seuls vous feront accoucher ; ne vous laissez pas trop
prendre et porter au courant du succès des modes passagères, d’où qu’elles
viennent. »
Ou encore ces
paroles qui montrent combien le professeur avait eu une vision juste des
prédispositions hors normes de son élève :
Gustave Moreau, Saint Jean Baptiste. |
« J’ai toujours eu et j’aurai toujours la plus
extrême confiance dans votre bel avenir et dans l’éclosion complète des dons
rares qui vous ont été accordés. »
Parmi les
documents présentés, une lettre de 1894, très émouvante, de Georges Rouault à
Gustave Moreau se termine par ces mots (Archives du musée Gustave Moreau) :
Gustave Moreau, Fée dans une grotte. |
« En attendant le bonheur de vous revoir, mes
parents et moi nous vous envoyons tous nos meilleurs vœux. Votre élève qui vous
aime G. Rouault. »
Les différents
témoignages ont toujours concordé pour dire que Gustave Moreau, en dehors
d’avoir été l’un des plus grands peintres de son temps, fut un professeur
« aimé ». Georges Rouault eut bien raison de le dire, et même de
l’écrire, à son cher maître.
Le
musée de Montmartre
Tout le monde
est sûr de connaître Montmartre : voilà la grande illusion ! Chacun
connaît, en effet, le Lapin Agile, le Sacré Cœur, la place du Tertre, ses
escaliers, son funiculaire, qui y monte ou descend. Mais Montmartre, c’est bien
plus que cela. C’est un village, ou plutôt une ville dans la ville, c’est aussi
une commune qui se veut « libre ». Connaître Montmartre, c’est
arpenter la rue du Mont-Cenis d’un bout à l’autre, c’est boire un café rue
Francoeur, passer indifféremment de l’avenue Junot au passage des Cloÿs, dîner
dans un restaurant afghan rue Paul Albert. Montmartre, c’est tout un monde, un peu
« à l’ancienne » qui subsiste – avec ses « résistants » qui
ne jurent que par leur quartier, dont certains n’en bougent jamais. Il y a un peu
plus d’un siècle de cela, lorsque cette butte était à l’écart du cœur de la
grande ville, certains habitants de Montmartre n’avaient jamais vu couler la
Seine…
Alors que, feu
le musée du Montparnasse, au charme fou lui aussi, a, hélas !, été abandonné
par la précédente municipalité, celui de Montmartre perdure, sans doute le côté
« résistant » du coin.
Au 12, rue
Cortot (jusqu’au 13 mars, beau catalogue) le musée de Montmartre nous enchante avec un trio immortel dans
une exposition intitulée :
« Valadon, Utrillo et Utter, 12 rue
Cortot : 1912-1926 ».
S’il existe souvent
des duos d’artistes, il est aussi des trios, regroupant des êtres indissociables,
comme Valadon, Utter et Utrillo, que l’on a souvent nommé la « Trinité
maudite ». L’exposition permet d’éclairer et de comprendre les liens qui
unirent cette trinité.
Suzanne Valadon, Louise nue sur le canapé, 1895. |
Que peignait-on
principalement à l’époque ? Des portraits, des nus, des paysages, des
natures mortes, des scènes de genre. Après avoir posé pour d’autres grands
peintres, Suzanne Valadon (1865-1938) a réalisé tout cela. Son art excelle dans ces domaines, mais aussi à travers diverses techniques. A la pointe sèche,
son œil lui permet de restituer des scènes intimes de nus, souvent à la
toilette. A l’huile, de faire des portraits de ses amis comme Eric Satie avec
lequel elle eut une brève liaison en 1893. Au seul grand amour de sa vie, le compositeur
des Gnossiennes dédiera deux œuvres
et lui écrira : « Cher petit
Biqui, Impossible de rester sans penser à tout ton être ; tu es en moi
toute entière partout ; je ne vois que tes yeux exquis, tes mains douces
et tes petits pieds d’enfant. »
D’autres portraits, de son fils, de
son mari, de Mme Kars (femme du peintre Georges Kars)… montrent le goût de
Suzanne Valadon pour ce sujet. Ne disait-elle pas « Je peins les gens afin de les connaître » ? Mais tous les
thèmes l’inspiraient. Même si ce n’est pas une découverte, parmi les femmes
peintres de son temps, Suzanne Valadon figure au premier rang.
Suzanne Valadon, Mme Kars, 1922. |
Suzanne Valadon, Le Château de Ségalas, 1923. |
Suzanne Valadon, Nu au canapé rouge, 1920. |
André Utter, Autoportrait. |
André Utter, Le jardin de la maison d'Utrillo, 1913. |
Maurice Utrillo, Butte-Pinson à Montmagny, 1908-1909. |
Maurice Utrillo, Le Moulin de la Galette, 1922. |
Maurice Utrillo, Rue Cortot, à Montmartre, 1922. |
« Ma mère une sainte femme que dans le fond de
mon âme je bénis et vénère à l’égal d’une déesse, une créature sublime de
bonté, de droiture, de charité, d’intelligence, de courage et de dévouement,
une femme d’élite, peut-être la plus grande lumière picturale du siècle et du
monde… »
On ne doit
jamais tout à quelqu’un, mais Utrillo doit beaucoup à sa mère qui l’aura
protégé et se sera tant inquiétée lorsqu’il faisait des séjours en hôpital
psychiatrique.
Au musée de
Montmartre, situé là où l’action s’est passée autrefois, on peut voir la reconstitution de la petite chambre dans laquelle Utrillo vivait.
On peut voir aussi l’atelier, qui laisse une impression de temps arrêté. Les grandes baies vitrées donnent vers des toits et un ciel qui ont si peu changé.
On peut voir aussi l’atelier, qui laisse une impression de temps arrêté. Les grandes baies vitrées donnent vers des toits et un ciel qui ont si peu changé.
Non, l’art n’est pas à lire ou voir dans les blogs. Il est à admirer, toute affaire cessante, in situ, à Paris comme en province, dans les vrais et beaux musées qui sont – presque – offerts à la visite.
Alors, que
fait-on dimanche ?
Allez hop, hop,
hop, plus d’hésitation à avoir : On file au musée !
Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17
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