mardi 9 février 2016

Ces musées faussement secrets de Paris



L’art n’est pas à chercher dans les blogs ni dans les sites. Pas vraiment davantage dans les livres. A peine plus dans les galeries (enfin, certaines, c’est ce que nous essayons de croire…) Non, il est avant tout à contempler dans les Musées des beaux-arts – attention, les vrais ! – dont on ne fait une consommation jamais assez effrénée. L’overdose, dans ce domaine, n’existe pas.
Paris en ce domaine – avec Londres et New-York – est incomparable, même si la province se défend bien, un peu partout, dans chaque région, dans chaque département, avec toujours quelques chefs-d’œuvre présentés, qu’il est bon d’aller saluer de temps à autre. Mais Paris…


Tout le monde vit, ou vient, à Paris, notamment pour la richesse artistique et littéraire qu’offre la grande ville. L’exemple des musées est sans doute – avec celui des théâtres – le plus caractéristique. On ne va pas énumérer ici les musées les plus célèbres de la capitale, mais s’en tenir à quelques-uns, que les vrais amoureux de l’art connaissent. Nous les apprécions pour diverses raisons, à commencer par le fait qu’ils ne sont pas remplis de visiteurs, ce qui permet de les apprécier en général calmement. Ils se tiennent souvent dans des maisons anciennes, au fond de cour ou de jardin, sont parfois entourés de verdure, ou bordent des parcs. Y pénétrer plonge dans un passé éternel. Le temps suspendu est exactement là. Une partition, une écritoire, une palette semblent être juste délaissées par un maître des lieux qui ne saurait tarder à revenir. On sent encore la présence de grands artistes qui ont hanté ces murs. Pour le visiteur, des bancs, ici ou là, permettent d’admirer les œuvres, de lire, d’écrire ou de rêver. Une âme, un charme, une présence amie, c’est ce que l’on recherche en poussant la porte de ces lieux faussement secrets, et qu’il faut découvrir, pour qui ne les connaît pas. Il y en a beaucoup et le choix est difficile à faire. Tentons néanmoins d’en citer quelques-uns :

Le musée Cernuschi, le musée de la Chasse et de la Nature, la Fondation Dubuffet.
Quatre autres se détachent également, peut-être nos préférés : le musée Bourdelle, le musée de Montmartre, le musée Gustave Moreau et le musée de la Vie romantique.

Comment passer une année sans aller les saluer ? Tous présentent une collection permanente, mais tous ont aussi à cœur d’organiser des expositions temporaires. L’hiver est une bonne saison pour leur rendre visite.
Le musée Bourdelle présente (jusqu’au 26 mars 2016) une exposition intitulée : « Rhodia Bourdelle, récit d’une vie, histoire d’un musée ». Le musée de la Vie romantique s’attarde (jusqu’au 28 février) sur « Thomas Couture » (que l’on a également plaisir à voir en permanence au musée de Beauvais), mais aussi sur une exposition intitulée : « Visages de l’effroi, violence et fantastique de David à Delacroix ». Une vraie réussite avec des artistes plus ou moins connus, mais un choix d’œuvres de première qualité, qui donne envie d’en savoir davantage sur certaines signatures. Quand aux musées Gustave Moreau et de Montmartre, voici leur actualité.

Le musée Gustave Moreau

Au 14, rue de La Rochefoucauld (jusqu’au 25 avril, beau catalogue) le musée Gustave Moreau, qui organise une exposition temporaire tous les deux ans, (on se souvient, par exemple, d’un remarquable « Huysmans/Moreau »), s’attache cette fois à associer un élève et son professeur dans une exposition intitulée : 


« Gustave Moreau et Georges Rouault, souvenirs d’atelier ».

Outre Rouault, on sait que Moreau eut beaucoup d’élèves qui apprécièrent son enseignement, parfois lui vouèrent un véritable culte. Parmi eux, les noms de Henri Matisse, Albert Marquet, Charles Camoin, Henri Manguin viennent à l’esprit, mais également d’autres artistes aussi différents et personnels que Simon Bussy, Henri Evenepoel et Léon Lehmann.

 

L’exposition met en avant chaque lien qui unit Gustave Moreau (1826-1898) à Georges Rouault (1871-1958). Pour cela, des œuvres, dessinées ou peintes, reprennent des thèmes communs à ces artistes, comme celui du sacré, traité par les deux hommes croyants. Des vitrines bien documentées s’attardent sur des correspondances, des photographies, notamment dans l’atelier de Moreau, des livres ou des témoignages du cadet sur son aîné. Des citations bien choisies éclairent également ces liens. Des éléments biographiques, succincts, permettent de compléter cet ensemble, où l’on apprend, par exemple, qu’à la mort de Gustave Moreau, Georges Rouault devint, en 1902, le premier conservateur de sa maison-musée que le peintre symboliste avait léguée à l’Etat, celle-là même que l’on visite aujourd’hui avec bureau et chambre « dans leur jus ». Rouault officiera à ce poste jusqu’en 1932. Quels sont ses témoignages sur celui qu’il nommait son « guide le meilleur » ? En voici un exemple : 

Georges Rouault, Coriolan chez Tullus, roi des Volsques, 1894.

« A l’atelier de l’Ecole des Beaux-Arts, Gustave Moreau arrivait le premier pour nous corriger et partait le dernier, on le rencontrait à la cour du Mûrier ou dans quelque coin avec son petit album ; il dessinait comme un étudiant entre la fin de sa correction et la séance de l’Institut, déjà souffrant, toujours vaillant et gai. »

Comment ne pas aimer pareil professeur ? A son jeune élève, pour lequel il semblait avoir comme une préférence, Gustave Moreau prodigua des conseils qui furent appris, mis en pratique et respectés tout au long de la vie d’artiste de Rouault. Citons :

Georges Rouault, Saintes Femmes au calvaire, vers 1940.

« Regardez la nature et les maîtres anciens ; eux seuls vous feront accoucher ; ne vous laissez pas trop prendre et porter au courant du succès des modes passagères, d’où qu’elles viennent. »

Ou encore ces paroles qui montrent combien le professeur avait eu une vision juste des prédispositions hors normes de son élève : 

Gustave Moreau, Saint Jean Baptiste.

« J’ai toujours eu et j’aurai toujours la plus extrême confiance dans votre bel avenir et dans l’éclosion complète des dons rares qui vous ont été accordés. »

Parmi les documents présentés, une lettre de 1894, très émouvante, de Georges Rouault à Gustave Moreau se termine par ces mots (Archives du musée Gustave Moreau) : 

Gustave Moreau, Fée dans une grotte.

« En attendant le bonheur de vous revoir, mes parents et moi nous vous envoyons tous nos meilleurs vœux. Votre élève qui vous aime G. Rouault. »

Les différents témoignages ont toujours concordé pour dire que Gustave Moreau, en dehors d’avoir été l’un des plus grands peintres de son temps, fut un professeur « aimé ». Georges Rouault eut bien raison de le dire, et même de l’écrire, à son cher maître.

Le musée de Montmartre

Tout le monde est sûr de connaître Montmartre : voilà la grande illusion ! Chacun connaît, en effet, le Lapin Agile, le Sacré Cœur, la place du Tertre, ses escaliers, son funiculaire, qui y monte ou descend. Mais Montmartre, c’est bien plus que cela. C’est un village, ou plutôt une ville dans la ville, c’est aussi une commune qui se veut « libre ». Connaître Montmartre, c’est arpenter la rue du Mont-Cenis d’un bout à l’autre, c’est boire un café rue Francoeur, passer indifféremment de l’avenue Junot au passage des Cloÿs, dîner dans un restaurant afghan rue Paul Albert. Montmartre, c’est tout un monde, un peu « à l’ancienne » qui subsiste – avec ses « résistants » qui ne jurent que par leur quartier, dont certains n’en bougent jamais. Il y a un peu plus d’un siècle de cela, lorsque cette butte était à l’écart du cœur de la grande ville, certains habitants de Montmartre n’avaient jamais vu couler la Seine…
Alors que, feu le musée du Montparnasse, au charme fou lui aussi, a, hélas !, été abandonné par la précédente municipalité, celui de Montmartre perdure, sans doute le côté « résistant » du coin.
Au 12, rue Cortot (jusqu’au 13 mars, beau catalogue) le musée de Montmartre nous enchante avec un trio immortel dans une exposition intitulée :

« Valadon, Utrillo et Utter, 12 rue Cortot : 1912-1926 ».


S’il existe souvent des duos d’artistes, il est aussi des trios, regroupant des êtres indissociables, comme Valadon, Utter et Utrillo, que l’on a souvent nommé la « Trinité maudite ». L’exposition permet d’éclairer et de comprendre les liens qui unirent cette trinité.

Suzanne Valadon, Louise nue sur le canapé, 1895.
Que peignait-on principalement à l’époque ? Des portraits, des nus, des paysages, des natures mortes, des scènes de genre. Après avoir posé pour d’autres grands peintres, Suzanne Valadon (1865-1938) a réalisé tout cela. Son art excelle dans ces domaines, mais aussi à travers diverses techniques. A la pointe sèche, son œil lui permet de restituer des scènes intimes de nus, souvent à la toilette. A l’huile, de faire des portraits de ses amis comme Eric Satie avec lequel elle eut une brève liaison en 1893. Au seul grand amour de sa vie, le compositeur des Gnossiennes dédiera deux œuvres et lui écrira : « Cher petit Biqui, Impossible de rester sans penser à tout ton être ; tu es en moi toute entière partout ; je ne vois que tes yeux exquis, tes mains douces et tes petits pieds d’enfant. » 

Suzanne Valadon, Mme Kars, 1922.
Suzanne Valadon, Le Château de Ségalas, 1923.
Suzanne Valadon, Nu au canapé rouge, 1920.
D’autres portraits, de son fils, de son mari, de Mme Kars (femme du peintre Georges Kars)… montrent le goût de Suzanne Valadon pour ce sujet. Ne disait-elle pas « Je peins les gens afin de les connaître » ? Mais tous les thèmes l’inspiraient. Même si ce n’est pas une découverte, parmi les femmes peintres de son temps, Suzanne Valadon figure au premier rang.

André Utter, Autoportrait.
André Utter (1886-1948) était Montmartrois. Après avoir fréquenté la « bohème » de Montmartre, chère à Francis Carco, André Dignimont, Aristide Bruant, Pierre Mac Orlan, André Salmon, Gen Paul et tant d’autres, ce peintre autodidacte se lia d’amitié avec Maurice Utrillo qui lui présenta sa mère. Malgré la différence d’âge, à partir de 1909, il partagea avec elle de nombreuses années de sa vie. Ce fut parfois houleux. Jusqu’en 1926 il vivra au 12 rue Cortot (aujourd’hui musée de Montmartre) avec sa compagne et son ami Maurice. 





André Utter, Le jardin de la maison d'Utrillo, 1913.
En 1923, l’acquisition du château de Saint-Bernard, dit parfois « Château Utrillo » (près de Belleville-sur-Saône, dans le Beaujolais, château aujourd’hui classé et qui se visite, notamment en été) permettra la création de paysages de cette région d’élection. Pendant vingt ans il vivra entre la province et Paris, avant de finir ses jours rue Cortot. Sans avoir la personnalité de Valadon et d’Utrillo, son art est très estimable.








Maurice Utrillo, Butte-Pinson à Montmagny, 1908-1909.
La vie légendaire de Maurice Utrillo (1883-1955) n’en fait pas moins un artiste souvent méprisé. On lui reproche une œuvre facile, répétitive, sans inspiration. Pourtant, peut-on imaginer Montmartre sans les tableaux d’Utrillo ? Loin du peintre médiocre que l’on présente parfois, les rues montantes et descendantes de son quartier, représentées sous son pinceau, dégagent une atmosphère chaleureuse, intime, unique, qu’une quasi absence de personnages plonge dans quelque chose d’éternel. 


Maurice Utrillo, Le Moulin de la Galette, 1922.
L’alcool, qui l’aidait à travailler, n’a jamais réussi à le détruire vraiment, puisque l’œuvre est là. Personne d’autre que lui n’a « senti » Montmartre aussi bien. 






Maurice Utrillo, Rue Cortot, à Montmartre, 1922.
Sa mère, qu’il adora, n’eut de cesse de veiller sur cet enfant fragile, né de père inconnu, tout comme elle-même. Utrillo dira d’elle :

« Ma mère une sainte femme que dans le fond de mon âme je bénis et vénère à l’égal d’une déesse, une créature sublime de bonté, de droiture, de charité, d’intelligence, de courage et de dévouement, une femme d’élite, peut-être la plus grande lumière picturale du siècle et du monde… »


On ne doit jamais tout à quelqu’un, mais Utrillo doit beaucoup à sa mère qui l’aura protégé et se sera tant inquiétée lorsqu’il faisait des séjours en hôpital psychiatrique. 

Au musée de Montmartre, situé là où l’action s’est passée autrefois, on peut voir la reconstitution de la petite chambre dans laquelle Utrillo vivait. 


 On peut voir aussi l’atelier, qui laisse une impression de temps arrêté. Les grandes baies vitrées donnent vers des toits et un ciel qui ont si peu changé. 

 



Non, l’art n’est pas à lire ou voir dans les blogs. Il est à admirer, toute affaire cessante, in situ, à Paris comme en province, dans les vrais et beaux musées qui sont – presque – offerts à la visite.
Alors, que fait-on dimanche ?
Allez hop, hop, hop, plus d’hésitation à avoir : On file au musée ! 




Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17

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