jeudi 12 novembre 2015

Bruno Wagner, les elfes sont ses amis



Bruno Wagner - Couverture du livre Hidden folks

Ils sont, pour le commun des mortels, invisibles. En tous cas à l’œil nu. Lui, les traque, les guette, et finit toujours par les trouver. Comme par miracle, ils apparaissent, innombrables, sous son objectif. Nous parlons de celui du photographe Bruno Wagner, bien connu des amis de la Galerie SR.

Mais de qui s’agit-il ?

Bruno Wagner - Feu


Le travail de l’artiste est un mélange de nature, de naturel et de sophistication. Chaque image saisie (forêt, océan, feu, glace, montagne, fleur, maison, ciel) est confrontée à son double. Narcisse, qui contemple son reflet dans son miroir, fait naître à son insu, à la conjonction de deux images identiques, un foisonnement de personnages, minuscules ou géants.

Mais de qui s’agit-il ? 

Bruno Wagner - Glace


Des elfes, qui naissent ainsi, sous le regard de l’artiste. Encore fallait-il les discerner, tant ce peuple mène une vie cachée.

Lorsqu’il trouva, il y a quatre ans environ, la clé qui lui permit d’entrevoir ces diablotins enchanteurs, joueurs, fantasques ou terrifiants, Bruno Wagner ne l’a plus lâchée. Pour être sûr de ne pas la perdre, il a dû l’accrocher autour de son cou, tel un talisman. L’artiste s’est tellement senti à l’aise, et de plain-pied, avec ces lutins (car il est un peu lutin lui-même, et le lutin est aussi un génie) qu’il est vite devenu leur meilleur ami. Et les elfes, alors, de lui confier leurs secrets.

Un tel observateur de ce peuple, aurait pu garder pour lui ce monde à part. Généreux de nature, Bruno Wagner a voulu nous le faire partager dans un livre qu’il vient de publier. Hidden folks est le titre de son ouvrage que l’on peut commander en écrivant à l’artiste lui-même, en joignant un chèque de 20 € (frais de port inclus) :



            Bruno Wagner

            Moulin de Cabiroun

            31260 URAU



            Ce livre, au format presque carré (22 x 24 cm), retient l’attention à toutes les pages. Chaque image est un piège à beauté. Il est rare de voir une même idée, qui, se développant à l’infini dans des milieux différents, ne lasse pas le regard, mais le surprend sans cesse. 

Bruno Wagner - Ciel


En fin d’ouvrage, tel un concentré de son travail, l’artiste reprend la partie centrale de ses images (71 en tout), là où se déroule vraiment la vie des elfes. Chacun y va alors de ses idées : plumiers qu’auraient peints des Aborigènes, totems érigés par des sorciers Indiens, etc.

Dans la catégorie des photographes-poètes, ou des poètes de l’image, nous avons toujours placé au centre et au premier rang – sur la photo – Bruno Wagner. Avec la parution de ce livre, ce fauteuil lui est plus que jamais réservé.


Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17





vendredi 23 octobre 2015

Ils sont dans le dictionnaire des "Peintres de la Savoie"...


Sous la direction d’Anne Buttin et de Sylvain Jacqueline, incluant une préface de Gilbert Durant, une nouvelle édition – la 3e, revue et augmentée – des Peintres de la Savoie 1860-1980, vient de paraître aux Editions Neva (74300 Magland).



Dans ce volumineux ouvrage relié, qui comprend 325 pages, deux-cent quarante artistes de Savoie et de Haute-Savoie sont répertoriés et étudiés. La couverture, bien choisie, reproduit le détail d’un tableau de Charles Henri Contencin (1898-1955) : Lac Cottepens des Sept Laux. En fin de volume, une partie « Annexe », fort intéressante, évoque les Ecoles de peinture, les Sociétés de peinture, enfin les Prix de peinture des deux départements.
            Parcourir un dictionnaire, quel qu’il soit, est toujours distrayant, car on est sûr de s’y cultiver de manière agréable et légère. De plus, comme il s’agit d’un livre à part, il convient de ne pas le lire de A à Z, mais bien de le feuilleter au hasard, et de s’arrêter sur ce qui retient son attention. Plaisir garanti !
            Chaque région de France, et du monde, a ses artistes, plus ou moins amateurs… ou plus ou moins professionnels ! La Savoie ne faillit pas à la règle. Il est donc difficile d’effectuer une sélection parmi les si nombreux peintres, dessinateurs et graveurs qui essaiment dans ce lieu géographique donné, et plus on se rapproche des contemporains, plus cela devient embarrassant, car des pressions peuvent exister ! Les auteurs ont donc préféré ne pas inclure les créations de ces trente dernières années. Sage décision ! Le choix effectué ici semble rigoureux.
Peu d’artistes de la Savoie, comme de la Haute-Savoie, ont une notoriété qui dépasse leur lieu natal, ou de prédilection. Certains font néanmoins exception à cette règle. Citons, par exemple, Albert Besnard (dont on aimerait voir une exposition à Orsay), Anselme Bois-Vives, Paul-Emile Chabas (ce mondain parisien attaché au lac d’Annecy), Henri Dimier (à l’abstraction si raffinée), Samivel (dont les visions d’une montagne évanescente et légère comme une feuille de papier procèdent d’un systématisme un peu fâcheux, hélas !) ou encore Madeleine Novarina, vraie grande artiste, mais ils sont si nombreux, dans cette famille, à être dans ce cas-là !
            Il est intéressant de découvrir quelques entrées surprenantes de ce glossaire, comme celles consacrées à John Ruskin ou à Eugène Viollet-le-Duc. Comme pour tout dictionnaire, il est possible (et facile, reconnaissons-le) d’émettre quelques réserves. Il aurait été agréable de découvrir une œuvre de l’Evianais Edmond Céria, ou bien de Charles Cottet, qui, lui, avait une maison à Evian : deux artistes de renom. L’entrée consacrée à Balthus, insignifiante pour un si grand peintre, aurait pu être supprimée, ou bien il aurait fallu écrire une page sur son travail en Savoie, avec reproduction d’une œuvre à l’appui. L’emblématique église d’Assy, qui fit appel à tant d’artistes internationaux, aurait pu bénéficier d’une étude, accompagnée d’images, même si cela dépassait le cadre de ce qui était recherché. D’autres artistes, enfin, comme Anna de Noailles, Maurice Denis, ou Gustave Jaulmes auraient pu figurer dans le dictionnaire (pas seulement dans l’Index des noms), accompagnés de reproductions de certaines de leurs œuvres laissées dans la région, car elles sont d’importance. Mais, dans l’ensemble, l’exercice bien difficile à réaliser, autrement dit composer un dictionnaire, a été brillamment accompli par les auteurs, qui méritent beaucoup plus de louanges que de griefs !

            Trois artistes, qui sont chers à la Galerie SR, figurent dans ce dictionnaire : Claire-Lise Monnier, Constant Rey-Millet et Rémi Gay.

Claire-Lise Monnier, Autoportrait


Claire-Lise Monnier, Le Café savoyard

            Claire-Lise Monnier (1894-1978), artiste franco-suisse, qui a beaucoup vécu dans la campagne genevoise, ainsi qu’à Paris, a séjourné longtemps dans une maison familiale située en Haute-Savoie, sur la commune de Vétra-Monthoux. La famille Monnier, de fins lettrés, y recevait le dimanche des personnalités artistiques et littéraires genevoises, tels les frères Alexandre et Charles-Albert Cingria. Deux références pour une jeune fille comme Claire-Lise, ivre d’art et de littérature. En Haute-Savoie, les cafés, les paysans, les moissons, les montagnes, un camp de gitan, ou encore un cirque ambulant, inspirèrent son travail d’artiste peintre. Le plus beau témoignage de son amour à la région se concrétisa, en 1919, dans un livre de Léandre Vaillat qu’elle illustra abondamment : Notre Savoie. Pas un véritable Savoyard ne sait se priver d’un tel recueil dans sa bibliothèque !
 
Constant Rey-Millet, Nature morte à l'éventail
 
Constant Rey-Millet, La Beauté sur la terre (Hommage à Ramuz)

            Constant Rey-Millet (1905-1959), né à La Tour-en-Faucigny, où il repose, est issu d’une vieille famille savoyarde. Son attachement aux siens, tout comme à son village natal, fut extrême. Trois périodes distinctes se détachent de son travail. De 1925 à 1940, il représente des scènes de village, des natures mortes, quelques portraits. Influencé par Roger de La Fresnaye, mais aussi par ses amis René Auberjonois et Gino Severini, le sommet de cette période est constitué par sa réalisation du Salon de Saint-Jeoire, peint pour son ami médecin Paul Gay, à Saint-Jeoire-en-Faucigny. Six grandes œuvres sont alors exécutées, dont l’une, intitulée La Beauté sur la Terre, est un hommage à l’écrivain suisse Ramuz. Après la guerre, avec son épouse, née Yvonne Rosengart, le peintre passe ses hivers en Floride, près d’une tribu d’Indiens Séminoles. L’artisanat, qu’il voit se réaliser sous ses yeux par les membres de cette tribu, lui inspire de grandes gouaches représentant des Chefs indiens, ou des scènes auxquelles il assiste, mais dans lesquelles il instille parfois un détail purement savoyard comme la représentation d’une église, ou d’un ramoneur. Atteint, en 1949, de la maladie de Parkinson, ce n’est que dans les deux dernières années de sa vie que le peintre va reprendre réellement son activité en réalisant de grands dessins aux crayons de couleurs, très personnels, aidé de son frère qui lui tend les crayons et lui tient les feuilles de papier. Son ami, l’Annécien Jean-Marie Dunoyer, parlera de « merveilles léguées ». On ne saurait mieux dire.
            
Rémi Gay, Arborescence hivernale


Rémi Gay, Composition

            Rémi Gay, né en 1941, à Saint-Jeoire-en-Faucigny, est le fils de Paul et Madeleine Gay, et le frère de Claire, Gilles, Luce et Christine. Il vient donc d’une « grande » famille savoyarde ! Il est le seul enfant à avoir suivi, d’une certaine manière, les traces d’un père, mi-médecin, mi-poète, qui inscrivit – au moins par la pensée – les mots art et littérature au fronton de sa maison de Saint-Jeoire. Celle-ci était déjà hantée, dans son « Salon », par les personnages que Constant Rey-Millet y avait peint, dans des situations variées, soutenus par des natures mortes, vivantes comme jamais. Un tel bain permanent peut marquer un enfant à vie, et tracer pour lui, inconsciemment peut-être, un chemin d’art qu’il ne quittera plus. Il en fut ainsi pour Rémi Gay. Une femme, deux fils, des fêtes, du Ferré, du Brassens, du jazz, des livres, de l’alcool, mais surtout des toiles qui attendent d’être couvertes de signes libres, affirmés, éclatants de santé. Tel est l’art de Rémi Gay, peintre abstrait en Haute-Savoie, Port de Séchex. Et même si le lac Léman est à deux pas, c’est davantage le feu que l’eau qui est l’élément naturel de l’artiste. Il jaillit, il embrase tout, à commencer par ses toiles, et le regard que l’on pose sur elles.

            Rendons, enfin, non pas à César, mais à Virgile, Virgile Novarina, ce qui lui appartient. Une erreur s’est glissée dans ce dictionnaire. Il concerne la notice consacrée à Madeleine Novarina (1923-1991). Talentueuse, moderne, engagée, sensible, écorchée, mais aussi femme d’une grande beauté, Madeleine Novarina, dont le premier admirateur, et conseiller, ne fut autre que son cousin, le peintre Constant Rey-Millet, fut liée à quelques-uns des grands artistes de son temps, souvent surréalistes, mouvement dont elle se sentait proche. Dans le Dictionnaire des Peintres de la Savoie 1860-1980, le nom de l’auteur de la notice qui concerne cette femme peintre, née à Thonon-les-Bains, n’a pas été indiqué convenablement. Il s’agit en réalité de Virgile Novarina, spécialiste de cette artiste, tout comme il l’est aussi de l’écrivain d’art, essayiste et romancier, Sarane Alexandrian (1927-2009), proche du mouvement surréaliste également, et qui fut le mari de Madeleine Novarina.
Pour tout savoir sur ces deux personnalités du monde de l’art, pas les plus connues, mais pourtant si intéressantes, il suffit de taper leur nom sur la toile pour trouver les sites, remarquables, qui leur sont consacrés par César-Virgile… 


Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
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samedi 27 juin 2015

Mathieu Verdilhan : original et singulier

       La Galerie SR présente quelques œuvres du peintre Mathieu Verdilhan (de son vrai nom Louis-Mathieu Verdilhan), dont nous reproduisons ci-dessous une aquarelle.


Mathieu Verdihan, Cuirassés du port de Toulon, aquarelle


      Né à Saint-Gilles-du-Gard en 1875, son destin est surtout attaché à la ville de Marseille où il vécut de 1877 jusqu’à sa mort, en 1928. Entre temps, l’artiste aura également habité dans plusieurs villes du Midi (Allauch, Aix-en-Provence, Cassis, Toulon…), mais également à Paris où, dès 1895, il s’installe pendant un an. Sachant qu’il est très difficile de percer sans l’aval de la capitale, il aura souvent par la suite une adresse à Paris, mais toujours couplée avec une autre adresse, provençale celle-là, qui montre bien son attachement irréductible à sa région natale. Paris lui permettra de se lier avec quelques grands créateurs, comme Antoine Bourdelle – qui soutint son travail –, mais aussi d’exposer dans des galeries en vue, en compagnie d’artistes de renom. Deux exemples : en 1909, chez Bernheim, aux côtés de Cross, Signac, Vallotton, Bonnard et Vuillard ; en 1923, chez Bernheim jeune, en compagnie de Pascin, Picasso, Severini, Signac, Survage, Utrillo, Valadon, Valtat, Van Dongen, Vlaminck, Vuillard et Waroquier. S’il fallait ancrer l’artiste dans une « école », ce serait celle des peintres fauves du Midi. Et s’il fallait, sur une photographie, le placer à un rang, c’est aux côtés des Charles Camoin, Auguste Chabaud, Alfred Lombard et René Seyssaud qu’il conviendrait de l’installer, face à l’objectif.

      Son principal biographe, Daniel Chol, relève dans son ouvrage publié en 2005 aux Éditions Chol que « La peinture de Mathieu Verdilhan s’enracine dans le terroir comme le fera l’écriture de Giono ; saine, naturelle, dépouillée dans son alerte puissante, elle est intemporelle, avec ses marins et ses paysans plombés d’un cerne noir comme les saints des vitraux des églises, ces nefs stables et sécurisantes d’un moyen âge secoué par les fléaux et les invasions migratoires. Giono, avec Albin, le héros d’Un de Baumugnes, sera lui aussi en parfaite communion avec cette âme populaire sans fard, avec cette inspiration née de la terre, cette philosophie païenne de la vie et de la mort pleine d’empathie panthéiste et cosmique. » D’autres artistes ont utilisé un cerne noir, comme Marquet ou Rouault, qui, comme Mathieu Verdilhan, dans ses peintures notamment, se sont servis de cette technique qui valorise, par contraste, les teintes éclatantes posées par ailleurs. 

      Dans le catalogue de son exposition L’Ecole marseillaise, Jean-Paul Monery, conservateur du musée de l’Annonciade, à Saint-Tropez, écrit en 2013 à propos de Mathieu Verdilhan que « le port de Marseille est très souvent représenté avec dépouillement dans un style très personnel où diagonales et verticales rythment la composition ».

      Même s’il s’agit plutôt, dans l’aquarelle reproduite ici, de cuirassés du port de Toulon, les termes « dépouillement » et « style très personnel » s’appliquent parfaitement à cette œuvre. Nous ajouterions juste le mot originalité qui est souvent la marque de ce peintre. Il fallait quand même oser, vers 1915, styliser à l’extrême ces bateaux, pour en faire, par l’épure, des sortes de jouets d’enfants. Il fallait être un peu moderne – nous n’irons pas jusqu’à employer le terme d’avant-garde – pour simplifier à l’extrême ces collines, qui ne tiennent que par le support de la couleur, et pas n’importe quelles couleurs : un ocre clair, un ocre marron, et surtout un bleu turquoise qui domine le lieu et donne un tour incroyablement original à cette aquarelle. Enfin, assez unique également est cette manière, ultra personnelle, de traiter la mer, verte, et le ciel, bleu, par hachures verticales savamment posées sur le papier – et avec légèreté. La composition, qui semble un peu enfantine, est en réalité savamment construite par l’artiste, qui offre là quelque chose de véritablement singulier. 

      Si nous élargissions, mais réduisions aussi peut-être un peu la portée de l’artiste, nous pourrions le comparer à un peintre breton, un peu plus jeune que lui, nommé Pierre de Belay (1890-1947). On retrouve chez le peintre de Quimper ce même cerne noir, ces mêmes sujets portuaires, mais avec plus de modernité, d’audace et de personnalité chez Mathieu Verdilhan. Cependant, une exposition présentant conjointement ces deux artistes ne manquerait sans doute pas d’intérêt. Ce serait une occasion de faire se rencontrer, un temps,les ports du Midi avec ceux de Bretagne, à travers deux peintres fidèles à leurs origines, mais dont l’art dépasse les points d’amarrage de chacun. Avis aux amateurs !






Galerie SR
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samedi 10 janvier 2015

Dans la famille Rouart, je demande... Ernest ! (Eaux-fortes à la Galerie SR)

 
Une actualité nancéienne permet à la Galerie SR de présenter quelques eaux-fortes d’Ernest Rouart (1874-1942).


Le Martyre de saint Sébastien
Sous-bois





 
Maternité

Peintre, dessinateur et graveur, Ernest Rouart appartient à une famille aux multiples ramifications, qui conduisent notamment vers Edouard Manet, Berthe Morisot, Paul Valéry… Après de bonnes études générales, Ernest consacrera sa vie à la peinture, qui, dans son milieu, était présente partout. Il en avait beaucoup vu chez ses parents, dans l’hôtel particulier de la rue de Lisbonne, notamment des toiles des plus grands peintres impressionnistes. Il avait vu également celle de son père, Henri Rouart, peintre et collectionneur, qui sera d’ailleurs son premier professeur. Edgar Degas, ami intime de la famille, félicitera le jeune Ernest de son choix de devenir artiste. Ernest Rouart épousera Julie Manet (fille d’Eugène Manet et de Berthe Morisot), dont il aura trois enfants. Julie, peintre à ses heures, fut également l’auteur d’un Journal (Alain Baudry et Cie éditions, Paris, 2014). Dans cette famille, on ne parlait que peinture. Le reste du temps, on la pratiquait.


Degas sera son principal professeur. Il incite son élève à copier des tableaux du Louvre. Il l’encourage à se rendre en Italie. Dans sa biographie, intitulée Le Roman des Rouart (Editions Fayard, 2012), David Haziot note que Degas considérait Ernest comme son « fils spirituel ». En Italie, Ernest étudia les fresques de Giotto à Padoue, Lucas Signorelli à Orvieto, Ghirlandaio à San Gimignano, mais aussi Botticelli, Michel-Ange, Raphaël, Titien, Bellini, Carpaccio…


La Galerie SR expose plusieurs eaux-fortes d’Ernest Rouart, dont voici trois exemples. 
On observera la variété des thèmes traités. On dira aussi, avec David Haziot, qu’Ernest Rouart fit « une peinture qui restait dans les normes du monde qu’il avait connu, tournant le dos aux mouvements artistiques d’avant-garde de son temps ».


Le Martyre de saint Sébastien (eau-forte, 7,5 x 6 cm) relève de l’étude par l’artiste des peintres italiens du Quattrocento ou, plus tard, des maniéristes. La scène se situe à un moment inhabituel de l’épisode : la victime, tête baissée, attend son châtiment, le bourreau n’a pas encore fixé la corde sur l’arc. La musculature des corps, magnifiquement représentée, est plus affirmée chez le tireur que chez le saint, au corps d’éphèbe. Sur la gauche, de dos, un troisième personnage, probablement un autre archer, semble tourné vers le paysage sans se soucier de la scène qui se déroule à ses côtés.

Ernest Rouart, Le Martyre de saint Sébastien


Le Sous-bois (eau-forte, 13,5 x 10 cm), traité sans effet, montre une belle connaissance de la nature. Au premier plan, un arbre, au tronc puissant, légèrement décalé sur la droite, donne à l’épreuve toute sa force. Au fond, à gauche, d’autres arbres, plus frêles, apportent une touche de légèreté et procurent au dessin une perspective, et donc une vie, dans laquelle l’œil aime à se perdre. 

Ernest Rouart, Sous-bois


La Maternité (eau-forte, 17 x 12 cm), enfin, est l’œuvre du mouvement. Celui des plis du vêtement dans lequel la femme s’enveloppe, confortablement. Celui du fauteuil, stylisé, sur lequel elle est assise, dont les pieds ressemblent à ceux d’une chaise antique. L’artiste fait ressortir cet effet de mouvement à travers des formes rondes : têtes de la mère et de l’enfant, menotte et main qui se rejoignent. Un châle, négligemment noué sur le dessus du fauteuil, ajoute à la scène une note chic et bohème.

 
Ernest Rouart, Maternité


Si l’art pratiqué par les membres de la famille Rouart est longtemps resté confidentiel, depuis dix ans tout a changé.

En 2004, le musée de la Vie romantique, à Paris, présentait une exposition Augustin Rouart (1907-1997) qui amorça une reconnaissance justifiée. Ce bel artiste singulier eut pour oncle Ernest, et pour enfant, notamment, Jean-Marie, académicien français.

En 2012, le musée Marmottan, toujours à Paris, célébrait cette fois Henri Rouart (1833-1912). Le peintre collectionneur, ami des impressionnistes, faisait alors une entrée remarquée parmi les artistes de ce mouvement, même s’il ne fut pas, en comparaison de ses amis Morisot, Degas, Manet, Monet et Renoir, le plus révolutionnaire du groupe.

Enfin, une exposition est proposée jusqu’au 23 février 2015 par le Musée des beaux-arts de Nancy. Intitulée Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique, elle permet d’admirer à la fois des œuvres d’Henri Rouart, d’Augustin Rouart, mais aussi d’Ernest Rouart, qui attendait lui aussi sagement sa réhabilitation. C’est fait. Adrien Goetz, dans Le Figaro du 13 novembre 2014, salue cet événement dans un article intitulé « Trois Rouart sinon rien ». Sur Ernest, il dira notamment : « Il pratique une peinture rigoureuse, vécue comme une douloureuse ascèse, qui fait de lui, dans le joli jardin de sa propriété, entouré de sa famille et de ses amis, un tourmenté absolu, dont les nus dessinés révèlent la part de nuit. » Autant de qualités qui font de lui un artiste attachant.


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