Sous la
direction d’Anne Buttin et de Sylvain Jacqueline, incluant une préface de
Gilbert Durant, une nouvelle édition – la 3e, revue et augmentée –
des Peintres de la Savoie 1860-1980, vient de paraître aux
Editions Neva (74300 Magland).
Dans ce
volumineux ouvrage relié, qui comprend 325 pages, deux-cent quarante artistes
de Savoie et de Haute-Savoie sont répertoriés et étudiés. La couverture, bien choisie,
reproduit le détail d’un tableau de Charles Henri Contencin (1898-1955) : Lac Cottepens des Sept Laux. En fin de
volume, une partie « Annexe », fort intéressante, évoque les Ecoles
de peinture, les Sociétés de peinture, enfin les Prix de peinture des deux
départements.
Parcourir
un dictionnaire, quel qu’il soit, est toujours distrayant, car on est sûr de
s’y cultiver de manière agréable et légère. De plus, comme il s’agit d’un livre
à part, il convient de ne pas le lire de A à Z, mais bien de le feuilleter au
hasard, et de s’arrêter sur ce qui retient son attention. Plaisir garanti !
Chaque
région de France, et du monde, a ses artistes, plus ou moins amateurs… ou plus
ou moins professionnels ! La Savoie ne faillit pas à la règle. Il est donc
difficile d’effectuer une sélection parmi les si nombreux peintres,
dessinateurs et graveurs qui essaiment dans ce lieu géographique donné, et plus
on se rapproche des contemporains, plus cela devient embarrassant, car des
pressions peuvent exister ! Les auteurs ont donc préféré ne pas inclure
les créations de ces trente dernières années. Sage décision ! Le choix
effectué ici semble rigoureux.
Peu d’artistes
de la Savoie, comme de la Haute-Savoie, ont une notoriété qui dépasse leur lieu
natal, ou de prédilection. Certains font néanmoins exception à cette règle. Citons,
par exemple, Albert Besnard (dont on aimerait voir une exposition à Orsay),
Anselme Bois-Vives, Paul-Emile Chabas (ce mondain parisien attaché au lac
d’Annecy), Henri Dimier (à l’abstraction si raffinée), Samivel (dont les visions
d’une montagne évanescente et légère comme une feuille de papier procèdent d’un
systématisme un peu fâcheux, hélas !) ou encore Madeleine Novarina, vraie
grande artiste, mais ils sont si nombreux, dans cette famille, à être dans ce
cas-là !
Il
est intéressant de découvrir quelques entrées surprenantes de ce glossaire,
comme celles consacrées à John Ruskin ou à Eugène Viollet-le-Duc. Comme pour
tout dictionnaire, il est possible (et facile, reconnaissons-le) d’émettre
quelques réserves. Il aurait été agréable de découvrir une œuvre de l’Evianais
Edmond Céria, ou bien de Charles Cottet, qui, lui, avait une maison à
Evian : deux artistes de renom. L’entrée consacrée à Balthus,
insignifiante pour un si grand peintre, aurait pu être supprimée, ou bien il aurait
fallu écrire une page sur son travail en Savoie, avec reproduction d’une œuvre
à l’appui. L’emblématique église d’Assy, qui fit appel à tant d’artistes
internationaux, aurait pu bénéficier d’une étude, accompagnée d’images, même si
cela dépassait le cadre de ce qui était recherché. D’autres artistes, enfin, comme
Anna de Noailles, Maurice Denis, ou Gustave Jaulmes auraient pu figurer dans le
dictionnaire (pas seulement dans l’Index des noms), accompagnés de
reproductions de certaines de leurs œuvres laissées dans la région, car elles
sont d’importance. Mais, dans l’ensemble, l’exercice bien difficile à réaliser,
autrement dit composer un dictionnaire, a été brillamment accompli par les
auteurs, qui méritent beaucoup plus de louanges que de griefs !
Trois
artistes, qui sont chers à la Galerie SR, figurent dans ce dictionnaire :
Claire-Lise Monnier, Constant Rey-Millet et Rémi Gay.
Claire-Lise Monnier, Autoportrait |
Claire-Lise Monnier, Le Café savoyard |
Claire-Lise Monnier (1894-1978),
artiste franco-suisse, qui a beaucoup vécu dans la campagne genevoise, ainsi
qu’à Paris, a séjourné longtemps dans une maison familiale située en
Haute-Savoie, sur la commune de Vétra-Monthoux. La famille Monnier, de fins
lettrés, y recevait le dimanche des personnalités artistiques et littéraires
genevoises, tels les frères Alexandre et Charles-Albert Cingria. Deux
références pour une jeune fille comme Claire-Lise, ivre d’art et de
littérature. En Haute-Savoie, les cafés, les paysans, les moissons, les
montagnes, un camp de gitan, ou encore un cirque ambulant, inspirèrent son
travail d’artiste peintre. Le plus beau témoignage de son amour à la région se
concrétisa, en 1919, dans un livre de Léandre Vaillat qu’elle illustra
abondamment : Notre Savoie. Pas un
véritable Savoyard ne sait se priver d’un tel recueil dans sa
bibliothèque !
Constant Rey-Millet (1905-1959), né à
La Tour-en-Faucigny, où il repose, est issu d’une vieille famille savoyarde. Son
attachement aux siens, tout comme à son village natal, fut extrême. Trois
périodes distinctes se détachent de son travail. De 1925 à 1940, il représente
des scènes de village, des natures mortes, quelques portraits. Influencé par
Roger de La Fresnaye, mais aussi par ses amis René Auberjonois et Gino
Severini, le sommet de cette période est constitué par sa réalisation du Salon
de Saint-Jeoire, peint pour son ami médecin Paul Gay, à
Saint-Jeoire-en-Faucigny. Six grandes œuvres sont alors exécutées, dont l’une,
intitulée La Beauté sur la Terre, est
un hommage à l’écrivain suisse Ramuz. Après la guerre, avec son épouse, née
Yvonne Rosengart, le peintre passe ses hivers en Floride, près d’une tribu
d’Indiens Séminoles. L’artisanat, qu’il voit se réaliser sous ses yeux par les
membres de cette tribu, lui inspire de grandes gouaches représentant des Chefs
indiens, ou des scènes auxquelles il assiste, mais dans lesquelles il instille
parfois un détail purement savoyard comme la représentation d’une église, ou
d’un ramoneur. Atteint, en 1949, de la maladie de Parkinson, ce n’est que dans
les deux dernières années de sa vie que le peintre va reprendre réellement son
activité en réalisant de grands dessins aux crayons de couleurs, très
personnels, aidé de son frère qui lui tend les crayons et lui tient les
feuilles de papier. Son ami, l’Annécien Jean-Marie Dunoyer, parlera de « merveilles léguées ». On ne saurait
mieux dire.
Rémi Gay, Arborescence hivernale |
Rémi Gay, Composition |
Rémi Gay, né en 1941, à
Saint-Jeoire-en-Faucigny, est le fils de Paul et Madeleine Gay, et le frère de
Claire, Gilles, Luce et Christine. Il vient donc d’une « grande »
famille savoyarde ! Il est le seul enfant à avoir suivi, d’une certaine
manière, les traces d’un père, mi-médecin, mi-poète, qui inscrivit – au moins
par la pensée – les mots art et littérature au fronton de sa maison de
Saint-Jeoire. Celle-ci était déjà hantée, dans son « Salon », par les
personnages que Constant Rey-Millet y avait peint, dans des situations variées,
soutenus par des natures mortes, vivantes comme jamais. Un tel bain permanent
peut marquer un enfant à vie, et tracer pour lui, inconsciemment peut-être, un
chemin d’art qu’il ne quittera plus. Il en fut ainsi pour Rémi Gay. Une femme,
deux fils, des fêtes, du Ferré, du Brassens, du jazz, des livres, de l’alcool,
mais surtout des toiles qui attendent d’être couvertes de signes libres, affirmés,
éclatants de santé. Tel est l’art de Rémi Gay, peintre abstrait en
Haute-Savoie, Port de Séchex. Et même si le lac Léman est à deux pas, c’est
davantage le feu que l’eau qui est l’élément naturel de l’artiste. Il jaillit,
il embrase tout, à commencer par ses toiles, et le regard que l’on pose sur
elles.
Rendons,
enfin, non pas à César, mais à Virgile, Virgile
Novarina, ce qui lui appartient. Une erreur s’est glissée dans ce dictionnaire.
Il concerne la notice consacrée à Madeleine Novarina (1923-1991). Talentueuse,
moderne, engagée, sensible, écorchée, mais aussi femme d’une grande beauté,
Madeleine Novarina, dont le premier admirateur, et conseiller, ne fut autre que
son cousin, le peintre Constant Rey-Millet, fut liée à quelques-uns des grands
artistes de son temps, souvent surréalistes, mouvement dont elle se sentait
proche. Dans le Dictionnaire des Peintres
de la Savoie 1860-1980, le nom de l’auteur de la notice qui concerne cette
femme peintre, née à Thonon-les-Bains, n’a
pas été indiqué convenablement. Il s’agit en réalité de Virgile Novarina,
spécialiste de cette artiste, tout comme il l’est aussi de l’écrivain d’art,
essayiste et romancier, Sarane Alexandrian (1927-2009), proche du mouvement
surréaliste également, et qui fut le mari de Madeleine Novarina.
Pour tout
savoir sur ces deux personnalités du monde de l’art, pas les plus connues, mais
pourtant si intéressantes, il suffit de taper leur nom sur la toile pour
trouver les sites, remarquables, qui leur sont consacrés par César-Virgile…
Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17
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