lundi 8 avril 2024

Retour sur Chelimsky avec l'exposition Brancusi au Centre Pompidou

 

Est-il plus facile d’organiser une exposition quand on a tout sous la main ? Sans doute, même si la beauté d’un ensemble tient aussi à la multiplicité des sources, c’est-à-dire des collections publiques et privées. 

 

Catalogue Brancusi, Librairie du Centre Pompidou, 2024

 

 

Pour l’exposition Brancusi, qui se tient au Centre Pompidou, les organisateurs n’ont eu qu’à puiser dans leurs réserves, puisque 90 % des œuvres présentées proviennent des collections du musée, grâce au legs fait par l’artiste en 1957. On se souvient que naguère se trouvait sur l’esplanade du même Centre un vaste espace Brancusi dans lequel l’atelier du sculpteur était plus ou moins reconstitué. Cela avait duré quelques années avant la suppression du lieu, et le retour des œuvres dans les collections – et les réserves – du Centre. Il n’y a donc que ce musée qui, au monde, peut aussi bien montrer l’œuvre du sculpteur peut-être le plus important de son temps, mais encore faut-il ne pas céder à la facilité pour souligner la richesse et l’inventivité de l’artiste roumain. C’est ce que l’on constate en visitant l’exposition Brancusi, qui est en tous points une réussite. 

 

 

Brancusi, Le Crocodile, bois sur poutre en bois, 1924, Centre Pompidou



Brancusi, L'oiselet, plâtre sur socle-poutre en bois, 1928, Centre Pompidou


 

Toutes les pièces qui ont fait la réputation – parfois sulfureuse – du sculpteur sont présentées, la plupart en différents exemplaires et diverses matières : bois, plâtre, pierre, marbre, bronze. Chacune de ces séries montre à quel point l’artiste s’est défait des influences qui auraient pu le détourner de son travail de créateur pour n’être qu’un médiocre suiveur. Par sa connaissance de l’art, il savait que Rodin était alors le maître absolu, mais il savait encore davantage qu’en étant son élève il courait le risque de ne pas développer son monde à lui. En art, rien n’est pire que la copie. Alors, exit Rodin. Après la Roumanie, et après avoir marché jusqu’à Paris pour finalement atterrir dans cette impasse Ronsin qu’il chérit tant, il s’empara de la matière pour la simplifier, lui donner une épure qui n’avait jamais été si parlante jusque-là. Naquirent ainsi des coqs, des oiseaux, des phoques, des torses, des baisers, des visages d’adultes ou d’enfants qui révolutionnèrent l’art. 

 

 

Brancusi, Bête nocturne, bois sur socle en plâtre, vers 1930, Centre Pompidou

 

Brancusi, Phoque (marbre), 1943 et Phoque (vers 1943-1946), Centre Pompidou

 

 

L’exposition s’accompagne de dessins de Brancusi. Chaque projet, plus ou moins monumental, commence souvent par quelques traits au crayon sur une feuille de papier. De nombreux documents – photographies, films, correspondances, livres, catalogues – accompagnent le visiteur. D’Apollinaire à Morand, de Tzara à Modigliani, de Satie à Duchamp, de Man Ray à Léger, les liens avec les peintres et les écrivains sont mis en avant. Sans oublier les mécènes et leurs commandes. 

 

Livre sur Oscar Chelimsky, Librairie du Centre Pompidou, 2024

 

 

Constantin Brancusi naît en 1876 en Roumanie. Il meurt à Paris en 1957. Pourtant, les derniers travaux exposés de l’artiste sont datés 1945. Rien des douze dernières années. C’est précisément au cours de ces dernières années, à partir de 1948, que le peintre américain Oscar Chelimsky, dont nous avons présenté récemment l’ouvrage qui lui est consacré, est devenu le voisin et l’ami de Brancusi, impasse Ronsin. Dans Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice-d’Ibie (Walkyrie Editions), que l’on trouve à la librairie du Centre Pompidou, on peut lire le témoignage, inédit en France, du jeune américain sur son aîné. En voici les premières lignes :

« Ce fut par le plus pur des hasards que j’ai rencontré Brancusi la première fois. C’était un dimanche après-midi au début de l’automne 1948, ma femme et moi nous nous promenions dans Paris. Nous y étions depuis peu, et je cherchais un atelier. A l’intersection de la rue de Vaugirard et de l’impasse Ronsin, j’ai remarqué́ ce qui semblait être un bâtiment d’usine de trois étages, dont les murs étaient constitués de grands panneaux de verre translucide. Je m’informai auprès de la concierge et celle-ci me dit qu’il n’y avait rien de disponible mais qu’un peu plus bas habitait un sculpteur très gentil qui, pensait-elle, pourrait certainement m’aider. Elle inscrivit le nom de « Brankusi » sur un bout de papier et, quelque peu étonné, je descendis jusqu’à son atelier. »

 

Impasse Ronsin, angle avec la rue de Vaugirard

 

Vue sur Paris, terrasse du Centre Pompidou, avril 2024

En Amérique, il n’y a pas d’impasse, remarquait Brancusi de retour d’un voyage aux Etats-Unis. A Paris, en revanche, il y en a beaucoup. Chaque arrondissement, chaque quartier contient de ces lieux un peu mystérieux, un peu secrets, où l’on n’ose guère parfois s’aventurer. Souvent, les artistes s’y sont engouffrés pour y créer à l’abri des regards, et vivre en dehors de l’agitation de la ville. Comme autant de mondes dans lesquels la vie se passe en vase-clos. Excellent pour ces solitaires, que sont en général les artistes. Dans cette impasse Ronsin du XVe arrondissement de Paris, Brancusi avait trouvé l’endroit qui lui convenait pour vivre, travailler, recevoir ses amis, participer à des fêtes, sans avoir à se confronter aux importuns, mais aussi à l’agitation de la grande ville. Il n’était pourtant pas seul dans cette impasse, car entouré d’autres artistes qui avaient fait le même choix que lui pour peindre, dessiner, sculpter. Parmi ces nombreux occupants de l’impasse, certains devinrent mondialement célèbres. Pourtant il suffit de prononcer ces deux mots « impasse Ronsin » pour qu’aussitôt un seul nom s’en vienne à l’esprit ou sur les lèvres, un nom en trois syllabes qui claquent au sommet d’une certaine colonne sans fin : Brancusi. 

 


 

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