vendredi 10 novembre 2023

Walkyrie Editions publie "Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice-d'Ibie"

 

 

Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice d'Ibie, Walkyrie Editions, 2023

 

Il en est de l’immense majorité des artistes et des écrivains. Si, de leur vivant, ils parviennent – plus ou moins – à entretenir une certaine notoriété, quelques années après leur mort, celle-ci s’éteint peu à peu. La loi est ainsi faite, impitoyable : seuls les génies, ou les très grands, parviennent à laisser une œuvre que l’on contemple ou lit des siècles après. Pour le reste…

 

 

Haywood Rivers et Oscar Chelimsky, Paris, 1950

 

Pour le reste, voici l’histoire d’un Américain à Paris, Oscar Chelimsky. Il trouva sa place dans l’art français des années 1950 et 1960, faisant partie alors de ce que l’on nomma la « Jeune Ecole de Paris », avant de retourner vivre aux Etats-Unis pour y poursuivre son travail.

Un ouvrage vient de paraître, qui fait renaître ce peintre. Le photographe et vidéaste Bruno Wagner, directeur de Walkyrie Editions, en est l’éditeur. Bruno Wagner ne travaille pas comme les autres. Il tient à sa marginalité – relative. Sa maison d’édition est installée chez lui, en pleine nature. Nous sommes là à Urau, au sud de la Haute-Garonne, dans un ancien moulin à eau, au bord d’une rivière tantôt calme, tantôt fougueuse. 

 

 

Rivière qui longe le moulin de Walkyrie Editions

 

Ce livre, dernier-né de Walkyrie Editions, s’intitule Oscar Chelmisky, de Paris à Saint-Maurice-d’Ibie. Il comprend une centaine d’œuvres de Chelimsky. De quoi avoir une bonne connaissance de son travail. Des photographies montrant l’artiste sont également reproduites, ainsi que des œuvres provenant de sa collection personnelle, avec notamment des pièces de quelques-uns de ses amis comme Hayter, Alechinsky, Vieira da Silva, Hajdu : une époque.

Oscar Chelimsky (1923-2010) est né à New York, où il a fréquenté plusieurs écoles d’art de la ville. Marié à la pianiste Eleanor Fine, le jeune couple arriva à Paris en 1948. Choix délibéré pour affirmer une carrière de musicienne et de peintre. Assez vite, une rencontre va s’avérer décisive, celle avec Brancusi, dont Chelimsky sera le voisin, impasse Ronsin. Proche de Brancusi, Chelimsky écrira même des souvenirs sur le sculpteur. Ce texte, publié en 1958 aux Etats-Unis dans la revue Arts, paraît pour la première fois en France dans Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice-d’Ibie

 

 

Oscar Chelimsky, Composition, 1951

 

Entreprenant, le peintre américain va s’occuper, en 1950 et 1951, d’une galerie éphémère, la Galerie 8, installée au 8, rue Saint-Julien-le-Pauvre. Ce lieu est surtout réservé aux artistes venus d’Amérique, artistes que Chelimsky connait, et dont certains sont restés célèbres comme Sam Francis et Jules Olitsky. 

 

 

Oscar Chelimsky, Composition, 1959

 

L’art de Chelimsky a beaucoup évolué. Le peintre est un intellectuel. Il réfléchit à ses compositions, qu’il exécute lentement. Après des débuts figuratifs, parfois influencés par Braque, qu’il côtoie, l’abstraction prend vite le dessus. Il réalise des séries auxquelles il donne des noms comme Spontaneous Signs, Galloping Signs, Big Open Form ou encore la série Ibie. A chaque fois, un nouveau Chelimsky paraît. Cela peut dérouter, mais le véritable artiste se remet en question. Chelimsky ne cessera jamais de chercher des signes et des formes nouvelles pour composer ses toiles. Son travail de dessinateur sera tout aussi inventif. 

 

 

Oscar Chelimsky, Composition sur partition musicale

 

La critique remarqua l’artiste, notamment lorsqu’il bénéficia de plusieurs expositions personnelles à la galerie Jeanne Bucher. Les ventes furent-elles à la hauteur des espérances du peintre et du galeriste ? Pas totalement. Aucune publication sur le travail de Chelimsky ne parut, même par la galerie Jeanne Bucher, alors qu’en ce lieu comme ailleurs l’artiste bénéficia de nombreuses expositions personnelles et de groupe. Voilà pourquoi le livre de Walkyrie Editions vient combler un vide, permettant la découverte d’un peintre qui apporta sa touche personnelle à l’abstraction en France des années 50, et notamment à ce que l’on nomma la « Jeune Ecole de Paris ».  

 

 

Seize peintres de la Jeune Ecole de Paris, 1956

 


 

 

Affiche de l'exposition Recherches 62, American Center, Paris

 

Oscar et Eleanor Chelimsky aimèrent vivre à Paris. Ils y eurent deux enfants, Thomas et Catherine. Mais Oscar et Eleanor découvrirent aussi en 1954 un village caché du sud de l’Ardèche nommé Saint-Maurice-d’Ibie. Ils y acquirent une maison. En été, le couple et leurs enfants vinrent y passer de longues vacances. Pur bonheur, partagé avec leurs voisins du village, dont le couple d’artistes Luce Ferry et Etienne Hajdu, le poète Jacques Dupin et son épouse Christine. Les dîners n’en finissaient pas. Le vin blanc local participait à l’animation des conversations. D’autres amis n’étaient pas loin. On les recevait ou on leur rendait visite. Parmi eux, Helen Philips et son mari Stanley Wiliam Hayter, artistes qui vivaient alors en partie à Alba-la-Romaine. 

 

 

Oscar Chelimsky, Composition, 1961

 

Parmi les observateurs de l’œuvre de Chelimsky, il y eut ce cher Michel Seuphor, écrivain le matin et dessinateur l’après-midi (ou l’inverse ?) Pour Seuphor :

 

 « La peinture de Chelimsky est une sorte de calligraphie légère et chaude. Ses couleurs semblent flotter sur la toile sans vouloir la pénétrer. Un souffle très doux anime cette végétation abstraite et mêle tout sans rien déranger. » 

 

 

Oscar Chelimsky, Composition, 1966

 

A la fin des années 1960, Oscar et Eleanor rentrèrent vivre aux Etats-Unis. Le peintre continua son œuvre. Il enseigna également. Commença là une autre vie, mais avec toujours la nostalgie des années passées à Paris, synonymes de sa jeunesse, des échanges avec ses pairs, et d’une certaine gloire acquise alors…

 

Lire : Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice-d’Ibie.

Prix de vente : 29 €.

Pour toute commande, adresser un chèque de 34 € (frais de port partagés) à l’ordre de Walkyrie Editions. Chèque à envoyer à :

 

Walkyrie Editions

Moulin de Cabiroun

31260 Urau

 

 

 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com


 

lundi 14 août 2023

"Peindre l'Ardèche, peindre en Ardèche" : comme un air de dictionnaire

Charles du Besset, Les pins le soir près des Sauvages, coll. part. (D.R)


 

"Peindre l'Ardèche, peindre en Ardèche"








 

L’ouvrage, intitulé Peindre l’Ardèche, peindre en Ardèche, paru en octobre 2022, s’est écoulé en deux mois. Ce fort volume, qui ne rentre dans aucune boite aux lettres (son poids est de 2 kg 600 grammes) a fait partie des « livres de l’année ». Face au succès rencontré, il vient d’être réédité. De quoi satisfaire quelques amateurs d’art curieux – mais aussi de nombreux frustrés !

 

Camille de Soubeyran de Saint-Prix, Grappe de fruits, aquarelle, coll. part. (D.R.)


Abondamment illustré, il rassemble, depuis les origines, les artistes, Ardéchois ou non, qui, à un moment de leur vie, ou de manière continuelle, ont vécu, peint, senti, aimé le Vivarais. Parler des origines n’est pas un vain mot, car, grâce à la grotte Chauvet, l’art pariétal s’invite ici avec des mains et des lions. Le livre ne comprend pas d’artistes vivants. Voilà qui au moins ne froissera aucune susceptibilité. Des peintres célèbres – Raoul Dufy, Max Ernst, Albert Gleizes, Paul Signac – alternent avec des inconnus. Des chefs-d’œuvre se mêlent à des compositions hasardeuses. Tel est le principe même de ce genre d’ouvrage. Cela le rend vivant, car chaque page tournée est une surprise, plus ou moins bonne. Divertissement garanti. L’œil du lecteur est quand même dans l’ensemble ravi, en tous cas toujours surpris.

 

Jeanne Selmersheim-Desgranges, Pêches au compotier jaune, aquarelle, coll. particulière (D.R.)

Un tel livre, que l’on pourrait nommer « Dictionnaire des peintres ardéchois », est l’affaire avant tout d’une personne. C’est Dominique Buis, de Privas, qui se lança dans cette entreprise. Cela occupa plus de quatre ans de sa vie. Diplômée de la Faculté des Lettres de Grenoble, elle fut avant tout psychologue. Voilà une précision utile, car pour gérer cette structure, outre des connaissances en art, une bonne dose de psychologie, dont un calme souverain dans les pires tempêtes – Dominique Buis aime aussi naviguer – ne fut pas superflu. Dominique Buis eut donc l’idée de ce livre. Elle le dirigea et le coordonna. Elle fit le choix d’un grand format carré – une rareté ! – et composa en partie la maquette. Au cours de ce long travail, elle eut pour assistante Marie-Jo Volle et Nathalie Garel. La psychologie ne fut pas non plus inutile à Dominique Buis pour encadrer une cinquantaine d’auteurs – dont la Galerie SR – qui construisirent, chacun à leur manière, selon leur style et leur caractère, un pan de l’édifice. Ce n’est plus une maison qui fut bâtie, mais un grand immeuble, où à chaque étage le goût et la décoration diffèrent. On ouvre une porte, et l’on a envie, ou non, d’entrer à l’intérieur. 

 

René Rochette,  Nuit de Noël, 1912, huile sur isorel, coll. Musée de Valence

 

Dans ce livre de trois-cents pages, et qui compte quatre cents cinquante illustrations, une centaine d’artistes sont ainsi étudiés. Ils sont peintres, dessinateurs ou graveurs. Parfois les trois à la fois. Tous ne gagnèrent pas leur vie grâce à leur art – certains n’en eurent d’ailleurs pas besoin –, mais tous pratiquèrent celui-ci avec sentiment et conviction. Comment ainsi ne pas leur rendre hommage ? Voilà qui est fait. 

 Un certain nombre d’artistes femmes font partie de l’ouvrage, dont Juliette Roche, Leonora Carrington et Jeanne Selmersheim-Desgranges, compagnes respectivement d’Albert Gleizes, Max Ernst et Paul Signac. L’intérêt réside également dans la découverte de peintres oubliés – comme le Valentinois René Rochette (1889-1923) ou l’Américain Roland Wehrheim, dit Bud Wehrheim, mais qui ont pourtant laissé une œuvre authentique et personnelle. Certains des artistes étudiés furent liés à des artistes majeurs, comme Camille de Soubeyran de Saint-Prix avec Gustave Courbet, ou Oscar Chelimsky, voisin et ami de Brancusi, impasse Ronsin, à Paris.

 

 

Roland Wehrheim - dit Bud Wehrheim - dans son atelier, Saint-Maurice-d'Ardèche        







Bud Wehrheim, Clytemnestre, 1965, coll. part. (D.R.)

Evoquons, enfin, le peintre norvégien Ludvig O. Ravensberg, dont le compatriote Edvard Munch fit le portrait. Ravensberg apprécia un temps la vie de château à Vernon. On le comprend.

 

Edvard Munch, Ravensberg, 1909, Musée Munch, Oslo

 
Ludvig O. Ravensberg, Etterstad, 1918, coll. particulière (D.R.)

 

Seuls les grands noms de l’art restent dans l’Histoire… de l’art. Nos mémoires collectives sont limitées. Grâce à ce genre d’ouvrage, des artistes de second ou troisième rang prennent à leur tour la lumière. Ce n’est que justice. Après la publication de cette « Bible » des peintres ardéchois, imprimée sur beau papier, il reste aux Drômois, de l’autre côté du Rhône, à relever le défi et à faire de même… Bon courage !

Pour en revenir à Ravensberg, quelques années plus tard, ce même château de Vernon fut fréquenté par un Président de la République, littéraire et voyageur, dont l’une des sœurs habitait le village. Mais qui donc ? La clé est dans l’ouvrage…

Lire : Peindre l’Ardèche, peindre en Ardèche, Editions Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, 2022. Réédition en 2023. 

 

 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com




 

jeudi 9 décembre 2021

"Paul Signac peintre, écrivain, voyageur", de Stéphane Rochette, aux Editions Fiacre

 

 



Paul Signac (1863-1935) a toujours été l’un de nos peintres préférés. Sans doute que les nombreuses visites au Musée de l’Annonciade, à Saint-Tropez, dès le plus jeune âge, ont forgé cette admiration. Et puis quoi de plus beau, en art, que ces vues de Saint-Tropez par Signac, à toute heure du jour ou du soir ? Autant d’édens représentés. Il faisait bien partie de ces « peintres du bonheur ». Comment ne pas les aimer ? 

 

Paul Signac, Montrichard (détail), 1932, collection particulière

 

 Ce livre, Paul Signac, peintre, écrivain, voyageur, qui paraît aux Editions Fiacre, se veut un peu différent des autres, nombreux, parus sur l’artiste. 

C’est, en effet, un récit biographique qui suit le peintre au cours des dix dernières années de sa vie, période qui, jusque-là, avait fait l’objet de moins de recherches. 

 

Paul Signac, Montrichard (détail), 1932, collection particulière

 Le point de départ est un voyage de Paul Signac en Ardèche, sur les conseils de Louis Aurenche. Nous sommes au printemps 1926. Le peintre, sa compagne Jeanne, et leur fille Ginette, se rendent à Bourg-Saint-Andéol où ils descendent à l’hôtel. Stendhal, autrefois, avait fait une halte dans cette petite ville des bords du Rhône. Signac, fou de cet écrivain, voulut connaître le lieu également. Voir, en quelque sorte, ce que Stendhal avait vu. La région plaît au peintre qui loue alors une maison à Viviers, près du Rhône : Les Maraniousques. Il gardera cette maison jusqu’à la fin de ses jours. 

Ce récit biographique évoque les moments passés aux Maraniousques et le bonheur vécu en ce lieu. Au-delà, on suit l’artiste chez lui, à Paris, avec ses amis Félix Fénéon, George Besson, Charles Vildrac, Léon Werth, Maximilien Luce… 

 



On découvre ses trois marchands parisiens, son activité de Président du Salon des indépendants, ainsi que les diverses expositions qui lui ont été consacrées à Paris. 

On suit le peintre, qui fut un grand marin, dans tous les ports de France. Il en fera une série, financée par son mécène Gaston Lévy, qu’il visitait à La Baule, Villa Orphée. 

On suit ses échanges, nombreux, avec Louis Royer, premier conservateur du Musée Stendhal, à Grenoble. On peut voir l’aquarelle qu’il offrit à ce musée au moment de son inauguration. 

On séjourne à Marseille, Toulon, en Corse, mais aussi à Lézardrieux, Saint-Malo, ou Barfleur. 

Cette étude montre le couple uni que formèrent Paul Signac et Jeanne Selmersheim, elle-même artiste peintre. Cela n’empêcha pas Signac de rester proche de sa femme, Berthe, qu’il voyait souvent et à qui il avait donné sa maison de Saint-Tropez, La Hune. 

 Signac travaillait beaucoup. A cette époque, il peignait dans ses ateliers de Paris, Viviers ou Barfleur. Et partout où il allait, il multipliait les aquarelles. 

 

Paul Signac, En Corse, à Berthe (détail), 1935, collection particulière

 Le peintre écrivait aussi fort bien. A Viviers, aux Maraniousques, il rédigea deux textes de commande. L’un sur le pré-impressionniste Jongkind, l’autre, quelques semaines avant sa mort, intitulé Le Sujet en peinture. Ce dernier essai, rare, comme testamentaire, est reproduit dans Paul Signac peintre, écrivain, voyageur.

 

Paul Signac en 1929, collection particulière

 Le livre contient des aquarelles inédites du peintre et de sa compagne.

 La préface est de Charlotte Hellman, arrière-petite-fille du peintre. 

 Les Archives Signac ont permis la réalisation de cette étude, grâce notamment aux correspondances que le peintre entretenait avec sa famille et ses amis. Certaines d’entre elles sont reproduites dans l’ouvrage. 

 


Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com

 


mercredi 1 septembre 2021

De Cannes à Nice... De Pierre Matisse à Constant Rey-Millet...

 
 
Cannes, vue du Suquet

 
Les cartes postales de vacances sont parfois un peu contraignantes à envoyer… mais tellement agréables à recevoir ! En France, les destinations touristiques ne manquent pas. Chaque région a ses atouts, chaque département, ses trésors. Une vie n’y suffit pas ! Parmi les lieux les plus courus, la Côte d’Azur reste une valeur sûre. Hormis ses plages et son soleil, ses bateaux – plus ou moins gros – et son arrière-pays, sa végétation et ses parfums, ses restaurants et ses marchés, ce qui attire également en ces lieux ce sont ses musées. Outre ceux consacrés aux Beaux-Arts, à l’art naïf, à l’art contemporain, aux arts asiatiques, à la céramique, l’on peut aussi « rendre visite » à Picasso, Matisse, Bonnard, Magnelli, Léger, Renoir, Chagall, Domergue et Cocteau, dans les musées qui leur sont consacrés. Sans oublier la Fondation Hartung, ni la plus célèbre de toutes les fondations, celle voulue par Aimé Maeght, où Miro, Giacometti, Calder et d’autres sont présentés, dans le bâtiment et dans les jardins, comme nulle part ailleurs.
 
 
Cannes, Plage du Midi

 
En se promenant sur la Côte d’Azur, Cannes, malgré la foule, garde son charme pour qui en connaît les recoins. « Situation à souhait. Là, me disais-je, on peut passer en paix le soir de sa vie. » Ainsi rêvait Stendhal, à une époque plus proche de celle de Lord Brougham que de nos musiques électroniques sur les plages ou dans les bars… 
 
 
Artemisia Gentileschi, Judith et Holopherne (Cannes, Musée des explorations du monde)

 
A Cannes, le musée se trouve sur les hauteurs de la ville, dans le quartier du Suquet. Connu, par les locaux, sous le nom de musée de la Castre, son appellation a été modifiée pour devenir, bien pompeusement, Musée des explorations du monde. Certes, le musée a une collection d’art grec, romain, et égyptien, certes les arts premiers y sont représentés (notamment océaniens), certes une collection d’instruments de musique anciens y tient une place d’honneur, mais le nom choisi fait oublier qu’il renferme aussi une collection de peintures. Aussi, « Musée des beaux-arts et des civilisations » – presque aussi pompeux ! – aurait au moins l’avantage d’inclure la collection de peintures et de dessins qu’un nom comme « explorations du monde » ne laisse pas soupçonner… Passons ! 
Nul doute que le chef-d’œuvre du musée est une peinture d’Artemisia Gentileschi (1593-1656), seule œuvre en France de cette artiste romaine, aimantée par la fougue caravagesque. Ce tableau de grand format (236 x 178 cm), intitulé Judith et Holopherne, est spectaculaire. Il est au centre d’une exposition temporaire intitulée Femmes fatales, Artemisia Gentileschi et Judith de Béthulie. Bonne idée de consacrer une salle au tableau d’Artemisia, avec détails et explications à l’appui. Bonne idée d’exposer aussi, dans les pièces suivantes, une série de peintures anciennes de grande qualité représentant ce même mythe classique de Judith, qui aura marqué beaucoup d’artistes. 
 
 
Le Cannet, Musée Bonnard

 
Pierre Bonnard, Autoportrait, 1885 (collection particulière)

 
Le musée Bonnard, au Cannet, fête ses dix ans. Auparavant, une chapelle, sur une place tranquille, présentait déjà de délicieuses expositions consacrées au peintre, qui vécut Villa du Bosquet, 29 avenue Victoria. C’est ici qu’il passa les vingt dernières années de sa vie. C’est ici également qu’il repose, au cimetière de la ville. Cet été, une exposition intitulée Face à face, l’autoportrait de Cézanne à Bonnard, présente, sur trois étages, une cinquantaine d’autoportraits de grande qualité. 
 
 
Edouard Vuillard, Vuillard au canotier, vers 1888 (collection particulière)

 
Les deux ensembles les plus impressionnants concernent Bonnard et Vuillard, qui se sont "introspectés" à divers âges, sous divers éclairages, de face ou de trois-quarts, sur fonds sombres ou lumineux. Dans un dessin au crayon de 1885, Bonnard, col raide, mèche rebelle, lèvres bien délimitées, scrute le spectateur derrière de fines lunettes. Le jeune homme sait déjà son destin. Trois ans plus tard, Vuillard, sous son chapeau de paille galonné de bleu, et sous sa barbe rousse, semble plus dubitatif. 
 
Henri Goetz, Autoportrait à la main bleue (détail), 1934 (collection particulière

 
En 1934, le peintre, mais surtout pastelliste et graveur, Henri Goetz, que nous visitions dans ses ateliers, à Paris et à Villefranche-sur-Mer, et qui n’avait pas encore inventé son monde abstrait de signes flottants, se représente comme devant un miroir. Visage, chemise et arrière-plan sont traités en camaïeu beige. Mais sa main gauche levée, peinte en bleue, tout comme le pinceau tenu au bout de ses doigts, donne toute l’originalité à l’œuvre. 
 
 
Jean Hélion, Le peintre demi-nu (autoportrait), 1945 (collection de Beuil & Ract-Madoux)

 
Le protéiforme Jean Hélion se met en scène torse nu, avec ventre plissé de bourrelets. Il fixe le spectateur, pendant que, de sa main gauche, un pinceau réalise une œuvre posée sur une table. Là encore, l’attitude est peu commune. Décidément, l’autoportrait inspire. 
 
 
Nice, Musée Matisse

 
 
Nice, Musée Matisse

 
A Nice, le Musée Matisse est installé dans un bâtiment aux coloris méditerranéens. Autour, les oliviers accentuent la couleur locale. Sans oublier les cigales… Lorsqu’il découvrit Nice, Matisse, remplit de joie, déclara : « Quand j’ai compris que chaque matin je reverrai cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur. Je décidai de ne pas quitter Nice, et j’y ai demeuré pratiquement toute mon existence. » Difficile de trouver meilleure publicité pour la ville. 
 
Henri Matisse, Portrait de Madame Matisse, 1905 (Nice, Musée Matisse)

 
Au musée, quelques papiers découpés d’Henri Matisse des dernières années suffisent à justifier une visite, tout comme un Portrait de Madame Matisse, qui prouve qu’en peinture quelques traits et quelques couleurs suffisent pour composer un chef-d’œuvre. 
 
 

 En cet été 2021, le lieu consacre une exposition à l’un des enfants du peintre : Pierre Matisse (1900-1989). Il hésita à devenir peintre lui-même, mais eut la bonne idée de ne pas faire comme son papa – ce qui dut soulager ce dernier. Il fut, en revanche, bien placé pour devenir marchand, dès les années 1930, non pas à Paris, mais à New York. Outre le grand Henri, il exposa Miro, Tanguy, Giacometti, Balthus – qui réalisa son portrait en 1938 (New York, Metropolitan Museum) – Leonora Carrington, Zao Wou Ki et d’autres. 
 
 

 
En vitrine : Constant Rey-Millet, Floride, vers 1947, Galerie SR, Paris

Constant Rey-Millet, Nature morte, Galerie SR, Paris


Constant Rey-Millet, Séminoles, Galerie SR, Paris

Au cours de l’automne 1951, Constant Rey-Millet (que l’on ne présente plus…), exposa également à la Pierre Matisse gallery. Furent montrées alors des œuvres séminoles réalisées dans sa propriété de Floride, Sandy Loam Farm. Parmi celles-ci n’y en aurait-il pas que l’on peut voir aujourd’hui à la Galerie SR ? Tout est possible. Dans la vie en général, comme dans celle des œuvres d’art en particulier !

mercredi 27 janvier 2021

Balthus, de Chassy à Rossinière...

Balthus nous avait reçu à quelques reprises, en 1999 et 2000, dans son Grand Chalet, à Rossinière, en Suisse.

 A ses côtés se tenait Setsuko, souriante, accueillante, tantôt en costume traditionnel du Japon, tantôt vêtue à l’européenne. 

Certaines conversations en tête à tête avec le peintre nous avaient permis d’apprécier sa hauteur de vue, son intelligence, sa culture, sa finesse d’esprit, son humour enfin. Pour, peut-être, encore mieux apprécier son travail.

Balthus et Stéphane Rochette, Rossinière, 1999

L’un de ses amis nous avait liés, le peintre Constant Rey-Millet (1905-1959). Une exposition Rey-Millet se préparait alors. Elle eut lieu, grâce à Jean-Marie Dunoyer et à Charles Bosson, du 20 juin au 30 septembre 2000, au Conservatoire d’art et d’histoire d’Annecy. Nous avions demandé au « Maître », sans trop y croire, une préface pour le catalogue de l’exposition. Son acceptation immédiate montra sa générosité envers son ami, disparu trop tôt, à La Tour-en-Faucigny. 

Tenir une galerie permet de rencontrer des amateurs d’art, des collectionneurs, mais aussi des peintres. Se rendre chez eux, découvrir leur atelier, est un privilège, même si les échanges sont parfois exigeants. Chaque artiste a son univers, mais aussi son caractère. Depuis vingt-sept ans qu’existe la Galerie SR – ouverte au printemps 1994 – il y eut beaucoup de ce type d’échanges. Pourtant, jamais rencontres ne furent aussi marquantes que celles vécues à Rossinière. La modeste porte d’entrée du Grand Chalet ouvrait sur un vaste lieu.

Entrée et façade du Grand Chalet de Balthus, Rossinière

 L’oeuvre de Balthus est considérée comme rare – contrairement à celle de Matisse ou de Picasso. Elle est conservée dans de grands musées d’art moderne et chez quelques collectionneurs de haute volée. Elle ne passe pas fréquemment en vente publique. Voilà pourquoi la maison de vente Artcurial a fait sans doute, dans le genre, le « coup de l’année » en proposant le 8 décembre 2020, à Paris, une vente Balthus. Première ou dernière du genre ? On ne sait. Toujours est-il que 144 oeuvres, ce jour-là, furent dispersées, essentiellement des dessins.

Paris, Rome, la Suisse, mais aussi Chassy, furent les principaux lieux d’ancrage du peintre, ainsi que ses sources d’inspiration. 

En 1953, Balthus, qui a toujours vu grand et beau, s’installa au château de Chassy, sur la commune de Montreuillon, dans la Nièvre, entre Vézelay et Château-Chinon. Trois ans plus tard, Frédérique Tison vint le rejoindre. Elle avait alors dix-sept ans. Sa mère était la compagne du frère de Balthus, l’écrivain et dessinateur Pierre Klossowski. Frédérique connaissait Balthus depuis quelques années déjà. Ici, ce sera le début d’une vie commune, partagée jusqu’en 1961, année où André Malraux nomma le peintre à la tête de la Villa Médicis, à Rome, début d’une autre vie.

 Dans son domaine bourguignon, au cours de cette « période Chassy », l’artiste va peindre quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre, inspirés par Frédérique, mais aussi par la nature environnante. Ses paysages du Morvan, souvent saisis depuis la fenêtre de son atelier, à l’étage du château, font partie des plus beaux paysages peints au siècle dernier.

 A Rome, Balthus délaissa Frédérique pour Setsuko. Grand seigneur, il laissa à son ancienne compagne son château aux quatre tours rondes. La jeune femme y vivra jusqu’à sa mort, en 2018. C’est son fils aîné, Charles, qui a mis en vente les oeuvres du peintre, détenues jusqu’alors par sa mère.

 Dans Le Journal du Dimanche du 22 novembre 2020, Marie-Dominique Lelièvre a écrit un long papier, fort bien documenté, sur cet événement du monde de l’art. La journaliste pourrait, en l’augmentant un peu, en composer un ouvrage qui porterait le joli titre de son article : « La Princesse de Balthus ». Après une visite à Chassy, voici comment elle décrit le fils aîné de Frédérique Tison : « Profil de gypaète, un Charles Tison émacié, qui pourrait être pris pour une réplique de Balthus, grimpe les marches de pierre du large escalier menant à l’atelier du peintre, dans l’aile nord. » Marie-Dominique Lelièvre n’est pas la seule à avoir constaté la ressemblance. 

 

Artcurial, Paris, Exposition "Balthus à Chassy", décembre 2020
 

Qui dit vente, dit catalogue. Celui-ci, tôt épuisé – et déjà recherché par les balthusiens et les bibliophiles –, contient un entretien éclairant avec Setsuko Klossowska de Rola. La veuve de l’artiste, peintre elle-même, situe bien l’importance du dessin dans l’oeuvre de Balthus. Répondant aux questions de Bruno Jaubert, directeur du département art moderne d’Artcurial, elle souligne : 

« Chez Balthus le dessin est purement un processus de création avant le tableau. Balthus dessinait énormément, revenant sans cesse sur le même sujet, la même position d’un corps avec d’imperceptibles changements d’un dessin à l’autre, une tête plus en arrière, un bras plus relevé, ou bien un décalage dans le cadrage d’un paysage, d’une nature morte, parfois d’un centimètre ou deux. C’est un incessant besoin de travailler pour obtenir le parfait équilibre de la composition. La pratique du dessin est le signe chez Balthus d’une quête incessante de beauté. » 

Ce perfectionnisme est souvent l’une des marques des grands artistes.

 L’exposition de la vente présentait les oeuvres de manière chronologique. Un documentaire, tourné au château de Chassy, permettait de rendre l’atmosphère du lieu. Dans son commentaire, Bruno Jaubert remarque : 

« Aux côtés de Frédérique Tison, modèle et muse, Balthus entre dans une période très prolifique. Un âge d’or durant lequel il va réaliser plus d’un tiers de son oeuvre, dont de nombreux dessins et aquarelles […] De ce formidable ensemble se dégage l’impression d’un temps suspendu, et vivant. »

 Chaque plan du film, dans sa lenteur souveraine, à la manière d’un Alain Cavalier, démontre cette impression. 

 

Balthus, Portrait d'Albert Skira, crayon, 1952

 

La vente du 8 décembre fut un succès, avec des estimations souvent dépassées. Des études pour des tableaux célèbres étaient proposées : « La Caserne », « Les enfants Blanchard », « La leçon de guitare », « Le Chat de la Méditerranée »… Deux dessins aussi étaient intéressants, car montrant l’atelier de Balthus à Paris, Cour de Rohan. Des raretés. L’on pouvait contempler également quelques esquisses de nus, des paysages, des natures mortes, des portraits, enfin. Parmi ceux-ci, celui d’un ami de Balthus, Albert Skira (1904-1973), sans doute le plus célèbre des éditeurs suisses du XXe siècle. Quel amateur d’art au monde n’a pas de « Skira » dans sa bibliothèque ? Certains tirages limités, et illustrés par des amis de l’éditeur, comme Picasso ou Matisse, sont des ouvrages pour bibliophiles. Mais Albert Skira a aussi popularisé, d’une certaine manière, le livre d’art, à travers ses nombreuses éditions, souvent en grands formats et reliés. Il apportait notamment un soin particulier à la qualité de reproduction des oeuvres. Il savait, en effet, que cet aspect-là était décisif dans le choix d’acquisition de ses ouvrages. Prendre connaissance d’un livre des éditions Skira, publié du temps de l’éditeur, était – et reste encore – un plaisir garanti.

Dans ce portrait d’Albert Skira par Balthus, chaque trait est d’une grande subtilité. La bouche fine, la mèche de cheveux dégagée, les joues légèrement creusées, l’ovale du menton, le regard teinté de mélancolie, montrent un homme, en 1952, âgé de quarante-huit ans, qui garde son aspect juvénile, mais dont la jeunesse pourtant s’enfuit.

 


Balthus, Portrait de Balzac,
 "Petite Collection Balzac", éditions Albert Skira




Constant Rey-Millet, Portrait de Balzac,
 "Petite Collection Balzac", éditions Albert Skira

En 1946, Albert Skira lançait une « Petite collection Balzac ». Sous emboîtage, douze volumes de l’écrivain tourangeau étaient réunis. Pour orner chacun des livres, l’éditeur avait demandé à douze artistes de dessiner un portrait de Balzac. Picasso, Giacometti, Balthus et Rey-Millet furent notamment choisis par Skira. Là encore, une histoire d’amitié. 

 


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