jeudi 7 février 2019

Les songes de Fernand Khnopff envoûtent le Petit Palais


Tant d’artistes ! Tant de mouvements ! Trop, sans doute. Mais alors, qui aimer en art ? Fort heureusement, rien n’est figé dans les appréciations. Les goûts changent, évoluent.
Le Symbolisme reste pourtant une valeur sûre. De Puvis de Chavannes à Xavier Mellery, de Franz von Stuck à Eugène Jansson, de Gustave Moreau à Odilon Redon, nous sommes attachés à ces peintres, qui créent des rêves en nous. Et puis il y a Fernand Khnopff. On lui réservera une place à part. Tout en haut.

 

Khnopff n’a rien du peintre « maudit ». Il a vécu de son art en Belgique, sa terre natale. Il connut une célébrité raisonnable, qui dépassa vite ses frontières, et ne s’est jamais démentie. Il continue aujourd’hui d’être collectionné, exposé, admiré.
Nous nous souvenons d’un bel ensemble de ses œuvres présentées au Grand Palais, en 1997, dans la remarquable exposition « Paris-Bruxelles » (commissaires d’exposition Anne Pingeot et Robert Hoozee). En frontispice du volumineux catalogue avait été choisie Une ville abandonnée. De quoi donner le ton.
En 2004, la rétrospective Khnopff à Bruxelles avait aussi marqué nos esprits.
En 2019, le Petit Palais à Paris présente une exposition intitulée « Fernand Khnopff, 1858-1921, Le maître de l’énigme » (commissaires d’exposition Michel Draguet, Christophe Leribault, Dominique Morel). Faut-il préciser qu’elle est à voir absolument ?

Fernand Khnopff, A Fosset, un soir, 1886

Après une petite enfance passée à Bruges, ville-souvenirs qui hantera son œuvre, le jeune Khnopff effectue des études secondaires à Bruxelles. A l’âge de 17 ans, un passage par l’atelier de Xavier Mellery donnera l’inflexion au jeune homme, qui trouvera déjà là, chez son maître, de quoi inventer son propre univers. L’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles et quelques séjours à Paris parachèveront la formation artistique d’un élève doué, qui commencera à exposer à Bruxelles dès l’âge de 23 ans. Dans les années 1880, Fosset, dans les Ardennnes belges, lui inspire de nombreuses toiles.

Fernand Khnopff, A Fosset, le garde qui attend, 1883

A la fin du XIXe siècle, il n’y a pas que Paris dans le monde des arts et des lettres. Bruxelles est aussi un foyer culturel dense. C’est là où Khnopff vivra. La création du Groupe des XX, en 1883, puis de La Libre esthétique, en 1894, auxquels participera l’artiste, sont deux témoignages éclatants de cette avant-garde qui existe à Bruxelles. En 1891, Fernand Khnopff signe l’affiche de l’exposition des XX. La liste des exposants impressionne : Angrand, Filiger, Gauguin, Larsson, Pissarro, Seurat, Sisley, Smits, Van Gogh, Ensor, Finch, Minne, Lemmen, De Regoyos, Rodin, Rops, Signac, Toorop, Van de Velde, Van Rysselberghe et… Khnopff, bien sûr.

Fernand Khnopff, Une fin de jour, 1891


Dans les années 1890, Fernand Khnopff présentera aussi ses œuvres à Munich, Vienne, Berlin, sans oublier Paris, notamment au Salon de la Rose-Croix de Joséphin Péladan.
Des villes abandonnées, des campagnes figées, des canaux désertés, tels sont quelques-uns des thèmes de l’artiste, qu’il porte à son paroxysme. Mais les portraits, aux visages énigmatiques, fascinent au moins autant. En dehors des commandes, son modèle est presque toujours sa jeune sœur, Marguerite, de six ans sa cadette. Tout comme Marthe, chez Bonnard, le temps n’a pas de prise sur ses traits. 

Fernand Khnopff, Madeleine Mabille, 1888    



Fernand Khnopff, Etude de femme, 1896


            Le mouvement symboliste mêle art et littérature. Fernand Khnopff lit Stéphane Mallarmé, mais aussi Joséphin Péladan, dont Le Vice suprême lui inspire des dessins. Il voue une grande admiration à ses amis, et compatriotes, Emile Verhaeren et Georges Rodenbach, dont il illustrera le chef-d’œuvre, Bruges-la-Morte. Il compose également une série de cinq lithographies rehaussées de crayons de couleur pour une édition à tirage limité de Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Toute sa vie, il restera dans son monde qu’il ne cessera d’explorer, imposant une vision intérieure, fascinante et intemporelle.

Fernand Khnopff, Avec Georges Rodenbach. Une ville morte (détail), 1889

            Paris comprend quelques conservateurs qui dominent leur sujet. Parmi eux, Laurent Le Bon, directeur du Musée Picasso. Il a présenté, à l’automne dernier, deux expositions phare : « Picasso, bleu et rose », au Musée d’Orsay, et « Picasso, chefs-d’œuvre ! » au Musée Picasso. Jamais expositions Picasso n’avaient été aussi éclairantes – et magnifiques. Les catalogues en témoignent. L’autre « star » des musées parisiens est Christophe Leribault, directeur du Petit Palais. Chacune des expositions qu’il propose – Khnopff, mais aussi, en ce moment, Lequeux – est à visiter. Pour le plaisir des amateurs d’art, le « match » Le Bon-Leribault comprend deux vainqueurs. Dans un tournoi, on ne saurait les départager.



            Au Petit Palais, les lumières de l’exposition Fernand Khnopff s’éteindront le 17 mars. Il serait dommage de ne pas les voir briller d’ici là. Il restera, sinon, le plaisir de prendre un billet pour Bruxelles, et, après ce court voyage, d’admirer les Fernand Khnopff conservés dans les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, la plus grande concentration de Khnopff au monde. De quoi continuer de rêver…



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