vendredi 27 mai 2016

La visite d'atelier : un grand classique


Comme souvent, le Petit-Palais propose une exposition intéressante. Oserait-on dire l’une des meilleures à voir en ce moment à Paris ? Sans doute, avec, par exemple, celle sur Albert Marquet, au Musée d’art moderne, et celles sur Miguel Barcelo, à la BN Mitterrand et au Musée Picasso. Elle concerne le peintre Georges Desvallières (1861-1950) dont l’art, tantôt symboliste, tantôt expressionniste, est chargé d’émotion. Grand coloriste, ses tons rouge, jaune, vert éclatent dans des grands formats, qu’il n’hésite pas à réaliser.

Georges Desvallières
Chacun peut admirer cette peinture, fougueuse, puissante, mystique, exaltée. Aux côtés de Georges Rouault et de Maurice Denis, Georges Desvallières est considéré comme un peintre « chrétien ». Il a, certes, réalisé beaucoup de vitraux, décoré, à Paris, la chapelle Saint-Yves, exécuté le Chemin de croix de l’église du Saint-Esprit, peint de nombreuses scènes religieuses, mais il a aussi réalisé des portraits, des autoportraits, des scènes d’intérieur, des nus… A défaut de visiter l’exposition, l’acquisition du catalogue, au titre parfait (Georges Desvallières, la peinture corps et âme), donne une bonne idée de la dimension de cet artiste, même si les pages imprimées en mat éteignent un peu les œuvres. Mais telle est la nouvelle « mode » des catalogues d’exposition à Paris. Ils sont imprimés en mat, plutôt qu’en satiné. 




 
Georges Desvallières, Hercule au jardin des Hespérides, 1913

Toujours au Petit-Palais, on peut voir également une exposition intitulée : « Dans l’atelier, l’artiste photographié, d’Ingres à Jeff Koons ». Tout un programme !
L’ensemble d’œuvres photographiques présenté ne manque pas d’intérêt. Il tente de montrer l’antre du peintre, du sculpteur ou du photographe, cette pièce souvent secrète, que l’on « visite » malgré tout, si tant est que l’artiste veuille bien nous en ouvrir la porte. L’atelier est toujours nimbé d’un halo de prestige, car l’artiste, comme l’écrivain, est censé représenter un être un peu supérieur, qui nous montre des terres inconnues, avec sa sensibilité propre. Il est mystérieux aussi, ce qui ajoute à la fascination qu’il exerce la plupart du temps. Dans l’atelier, l’artiste concentre son travail, mais aussi ses rêves, ses désirs, ses faiblesses, ses aspirations de grandeur, parfois de gloire. Dans l’atelier, conforté par les objets qui lui permettent de créer, l’artiste cache aussi ses secrets (parfois de fabrication), autrement dit toute sa préparation-méditation-concentration-action, qui jaillit tantôt spontanément, tantôt à travers un long cheminement. Chaque cas est unique – et pour tout dire, passionnant.
Comment se fait-il, alors, que l’exposition du Petit-Palais lasse assez vite le regard ? N’y a-t-il pas trop d’images accrochées ? Ce principe de mélanger photographies « historiques », du siècle passé, et contemporaines ne crée-t-il pas une confusion ? N’eût-il pas mieux valu présenter une exposition plus restreinte, qui se serait arrêtée aux années 1940, par exemple, et montrer, ultérieurement, les ateliers de l’après-guerre jusqu’à nos jours ?
Les écrivains d’art, les critiques d’art, les conservateurs, les collectionneurs et les galeristes fréquentent les ateliers d’artiste. Enfin, ceux qui leurs sont ouverts, ce qui n’est pas toujours le cas, ou bien à force de patience !
La Galerie SR ne fait pas exception à la règle. Nous fréquentons, et avons beaucoup fréquenté, par dizaines, des ateliers. Nous pourrions montrer ces artistes dans leur univers… si nous avions osé les prendre en photographie ! C’est un exercice délicat, car de l’ordre de l’intime, et nous n’avons pratiquement jamais eu l’audace de leur demander de poser devant notre objectif. Tant pis !

James Guitet, Suite dômienne, 1992


Les rencontres dans les ateliers sont presque toujours mémorables. De Michel Seuphor, le méthodique, à Balthus, le supérieur, de René-Jean Clot, le possédé, à James Guitet, le cérébral, de Jean Piaubert, le bienheureux, à Pierre-André Benoit, le malheureux… Tant d’autres…
Voici, comme exemple, présenté à la galerie en ce moment, un artiste qui nous a ouvert les portes de son atelier : James Guitet (1925-2010).

James Guitet, Suite dômienne, 1992

Pour donner une touche un peu littéraire à ce blog, voici, extrait de La Cavalière Elsa, comment Pierre Mac Orlan, en 1921, décrivait l’atelier d’un peintre, héros de son roman. De manière bien littéraire, aussi ! Cela nous ramène à Montmartre, au temps de notre précédent message sur Suzanne Valadon et son fils Maurice Utrillo :

« Bogaert occupait à Montmartre un atelier, une chambre et une cuisine transformée, selon l’heure, en cabinet de toilette. A travers les baies vitrées de son appartement, il apercevait les branches d’un lilas, Paris, ses cheminées, la ligne bleue des collines, un des spectacles les plus attristants de la création. La vie grouillait en bas, entre ces cubes percés de fenêtres, dans les rues que l’on ne pouvait voir de l’atelier. Au loin, l’herbe et les arbres s’assemblaient pour ne point décevoir les Parisiens qui ne peuvent imaginer la vie harmonieuse sans voisins.
L’atelier de Bogaert était meublé selon les goûts d’un homme du Nord ; toutes les portes fermaient bien, les cuivres brillaient, et les livres sur trois côtés étageaient leurs couvertures diverses jusqu’au plafond. Ce sont les livres qui donnent à la vie son cours normal. Ils s’imposent à nos actes, à nos gestes, à nos peines, à nos plaisirs. Il est impossible de concevoir la vie sans les livres, elle se résorberait et finirait par disparaître. Tout ce que les hommes inventent, aiment ou méprisent correspond à l’influence d’un ou plusieurs livres adaptés à l’humeur de chacun. Si les livres n’étaient nécessaires à l’existence de l’homme comme l’eau qu’il boit et l’air qu’il respire, il est à présumer que la profession d’écrivain, loin d’honorer son homme ou plus simplement de lui permettre de vivre, aurait depuis longtemps disparu du monde. Les imbéciles sincères, ceux qui sont doux au toucher, auraient même apporté quelque férocité dans l’élimination de ces inutiles. Bogaert vivait toujours sous l’influence d’un livre. Il ne concevait la misère que pour l’avoir vue définitivement peinte dans les livres spéciaux. Il s’intéressait à l’amour parce que dans les livres, il est, parfois, question de l’amour. Quant à la volupté sous toutes ses formes, elle n’existe que littérairement : ce n’est qu’une anticipation, ou un souvenir.
Bogaert travaillait afin de perfectionner son isolement et pour ne pas oublier les créations intellectuelles nécessaires à son existence. Il peignait et gravait comme d’autres font leur pain et leur vin. Quelques personnes s’inquiétaient devant ses œuvres, assez rapidement d’ailleurs, car la présence d’un artiste, sa connaissance, quand elles supposent une certaine intimité avec celui qui en bénéficie, diminuent l’œuvre qui est immobile et que le mouvement dissocie. »

Nous aurions bien aimé rencontrer Bogaert dans son atelier. Découvrir, sous un livre, un tube de vert ou un pinceau. Pour les lui tendre. Négligemment.


Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17