mercredi 20 septembre 2017

Les anciens président de la République ne sont pas heureux. Karel Appel et Dioramas rendent heureux

 
Ils sont de plus en plus nombreux, nos anciens présidents de la République. Quatre, en France, aujourd’hui, demain sans doute huit ou dix… Mais alors, à 45, 65 ou 85 ans, quand on a été président de la République et que l’on ne l’est plus, que devient-on ? En général, on est malade, ou bien l’on s’ennuie. Plus rien n’accroche, aucune discussion n’intéresse vraiment. Le vide est profond. Les conférences données, les fondations créées, les actes de présence au Conseil constitutionnel ne comblent rien. Tout n’est plus que passe-temps sans enjeu, ni excitation. Après avoir régné, dominé, brisé, été vainqueur, cette relégation au rang d’homme commun, banal et transparent, n’est qu’accablement. Que faire alors pour redonner de la joie à nos anciens présidents désœuvrés ? Si seulement ils avaient vu deux expositions, cet été, Dioramas et Karel Appel, ils auraient retrouvé le sourire. Les anciens présidents de la République ne sont pas heureux. Cela n’a vraiment aucune importance. Après constatation sur tous types de sujets, la prescription ne marche pas que pour les anciens présidents. L’art participe au bonheur pour tous. 

Karel Appel, Petit Hip Hip Houra, 1949


Comme chaque été, celui-ci a filé trop vite. Beaucoup d’expositions à Paris, beaucoup de monde, beaucoup de touristes (Ah ! ce mythe du Paris « désert » au mois d’août !), et toujours le même temps maussade en août, sauf une belle semaine, de ciel bleu sans nuage, à partir du 22. Et puis rideau : de nouveau la pluie et le gris.
Deux expositions ont retenu l’attention. Il ne fallait que quelques pas, de sénateurs, ou d’ex-présidents, pour aller de l’une à l’autre. Dioramas, au Palais de Tokyo, et Karel Appel, au Musée d’art moderne, se faisaient face. Deux rêves d’exposition, deux expositions de rêve.

Karel Appel, La Promenade, 1950

Les dioramas se présentent sous formes multiples. Ce sont souvent des images, animées par un jeu d’éclairage. Ce sont aussi des tableaux en relief, sous vitrines, qui montrent – en général avec figurines –, des situations, des événements, des scènes de la vie quotidienne, parfois historiques, ou religieuses. Une autre forme de ces dioramas met en « boîte » des animaux naturalisés. De Louis Daguerre, pionnier une fois encore, à Ronan-Jim Sévellec le « système » a traversé les époques, essayant d’atteindre ce qui est peut-être le plus difficile à créer en art, comme dans la vie en général : une sensation de « merveilleux ».
Même si nous n’avons pas de photographies pour le démontrer, l’exposition du Palais de Tokyo en a créé beaucoup, de merveilleux, dans son exposition Dioramas. Les trois premières salles, regroupant les plus anciennes pièces, sont sans doute les plus belles. Il faut ajouter les œuvres du cinéaste et plasticien Charles Matton, ou celle intitulée Bains d’Asnière de Ronan-Jim Sévellec. On y est. Il n’y a plus qu’à s’étendre près du bassin. Pour émettre malgré tout quelques réserves, des tableaux reliquaires – ou paperolles – auraient pu figurer dans l’exposition, Joseph Cornell aurait dû être mieux représenté, et les pièces contemporaines parfois mieux choisies. En revanche, la vitrine en hommage à Georges Henri Rivière (1897-1985), le fondateur du Musée des arts et traditions populaires, est un enchantement. Montrer ainsi, sous très grande vitrine, ce qui constitue, à une époque donnée, la vie quotidienne, est une manière élégante de préserver la mémoire. Du berceau jusqu’à la tombe, une vie est là, avec son bouquet de la mariée, sa chaise à sel, son coffre gravé de cœurs… Rien n’empêche de continuer cette forme de présentation aujourd’hui, comme demain. Les traces des vies changent, d’une génération à l’autre. Elles sont pourtant toujours aussi instructives pour les muséologues et les anthropologues.
Les musées vivent avant tout de donations. Celle faite, discrètement, cet été, par un collectionneur anonyme, d’un beau paysage du Douanier Rousseau au musée d’art naïf de Laval (que nous souhaitons visiter depuis longtemps !) est une aubaine pour ce musée, sa conservatrice, et la Mayenne.
Une autre donation, plus fracassante encore, a eu lieu récemment. La Karel Appel Foundation a en effet donné au Musée d’art moderne de la ville de Paris un ensemble de vingt-et-une œuvres du peintre hollandais. Une fondation qui donne à un musée ? C’est bien rare, ce qui fait d’autant plus apprécier le coup magistral réussi par le Musée d’art moderne, à commencer par son directeur, Fabrice Hergott.

Karel Appel, Animaux au-dessus du village, 1951

De 1948 à 1951, CoBrA connut un grand succès. Même s’il fut bref, et même s’il n’est pas en « isme », ce mouvement artistique est considéré comme l’un des plus importants du XXe siècle. Parmi ses membres, on notera Jorn, Corneille, Constant, Dotremont… On relèvera quand même en premier (avec Jorn), Karel Appel (1921-2006), né à Amsterdam, et qui vécut une partie de sa vie à Paris. Il était soutenu alors par de nombreux critiques, dont l’engagé Michel Ragon et l’abscons, mais défricheur, Michel Tapié. 

Karel Appel, L'âge archaïque, 1961

L’intérêt de cette donation est de couvrir toutes les périodes de Karel Appel. Il est aussi de montrer les différentes techniques qu’il utilise, comme la sculpture ou la céramique. 

Karel Appel, Visage, terre cuite vernie, 1954

Plusieurs pièces « historiques », de l’époque CoBrA, figurent dans cet ensemble. Elles ont été présentées cet été à Paris, mais seront demain, grâce aux prêts du Musée d’art moderne, dans toutes les rétrospectives de ce mouvement organisées à l’étranger.

Karel Appel, Hommes, oiseaux et soleils, 1954

Appel allie le sens de la couleur à une énergie débordante. Dans chacune de ses pièces, un souffle passe. La fantaisie est là aussi. Rien n’est pompeux, solennel ou répétitif dans ce travail. L’art est pris comme un jeu, sans doute sérieux, mais qui impose à l’artiste de ne pas se prendre au sérieux. Ce côté ludique et bouillonnant donne le sourire. Il rend heureux. « L’art est une fête », clame Karel Appel, dans « son » exposition. « L’art est merveilleux », lui répond en écho, trottoir d’en face, Dioramas.

Karel Appel, Tête pomme de terre, 1974

Karel Appel, Tête pomme de terre (détail)

Les anciens présidents de la République ne sont pas heureux. Cela n’a vraiment aucune importance. Dioramas et Karel Appel rendent heureux. Enfin, rendaient, car les lumières de ces expositions se sont éteintes.
Dioramas et Karel Appel ? Il fallait y aller !



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