jeudi 9 mai 2024

Bonds et rebonds de Jean Hélion au Musée d'Art moderne de Paris

 

Une exposition, au titre emprunté (et un peu prétentieux pour la circonstance), « Jean Hélion, la Prose du monde », se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. 

 

 

Affiche de l'exposition Hélion devant le Musée d'art moderne de Paris

 

 

Jean Hélion


Entrée de l'exposition Jean Hélion


Tout se joue, en réalité, au tiers de cette exposition.

Au milieu d’une salle, de part et d’autre d’un panneau, sont exposées deux grandes œuvres de l’artiste. L’une est intitulée Au cycliste, l’autre Figure tombée. Elles ont un point commun, leur année de création : 1939. Hormis cela, l’une est abstraite, l’autre figurative et il est difficile de faire deux toiles plus dissemblables. Tel est le mystère Jean Hélion, à moins qu’il ne s’agisse d’un don d’ubiquité, qui aurait peu d’équivalents en art. En voyant tour à tour ces peintures, on adhère à ce choix de présentation. Placées côte à côte, elles n’auraient pas paru crédibles, ou se seraient dévorées l’une l’autre. 

 

 

Jean Hélion, Figure tombée, 1939, Centre Pompidou, Paris

 

Jean Hélion, Au cycliste, 1939, Centre Pompidou, Paris

Jean Hélion (1904-1987) bénéficia d’une rétrospective au Centre Pompidou en 2004-2005. Vingt ans plus tard, le Musée d’art moderne de la ville de Paris le célèbre également. On se souvient aussi de l’exposition Hélion, la figure tombée proposée par le musée Unterlinden, à Colmar, en 1995. Hélion fait donc partie de ces rares artistes exposés dans les plus grandes institutions françaises de manière régulière. Pour qui s’intéresse à l’art, ne pas connaître son travail serait impossible. Il est aussi l’auteur d’une œuvre abondante – dessins, aquarelles, peintures – ce qui facilite cette multiplication d’accrochages, sans lasser le visiteur. 

 

Jean Hélion, Homme assis, 1928, Galerie Alain Margaron

 

A Paris, l’exposition est chronologique. Elle commence par des travaux figuratifs, dont un Homme assis (1928), sobre dans sa composition et dans ses teintes, mais doué d’une forte puissance, à l’image de l’homme représenté. Il est dommage que le volumineux et assez remarquable catalogue de l’exposition ait eu quelques « ratés » dans la reproduction d’œuvres, dont cette toile de grande dimension.

Puis, dès 1929, l’abstraction accapare l’artiste. Il en sera ainsi pendant dix ans. Dans des toiles provenant des musées de Lodz, du Centre Pompidou, du musée Cantini à Marseille ou encore du musée de Grenoble, un rigorisme, fait de lignes verticales et horizontales, qui regarde vers Mondrian, suivi d’une recherche de courbes et de cylindres dans l’espace, se succèdent. La palette est heureuse, plutôt vive et joyeuse. 

 

Jean Hélion, Composition orthogonale, 1929-1930, col. part.


 

Jean Hélion, Composition, 1930, Musée d'Art, Lodz

 

 

Jean Hélion, Composition verticale, Musée Cantini, Marseille

 

1939 est l’autre année de bascule avec le retour à la figuration. En 1943, L’homme à la face rouge serait sans doute, dans cette œuvre faite de revirements, ce qui caractérise le plus l’artiste. Comme un totem. Cet homme au chapeau, peint en noir et blanc, avec juste l’ovale du visage orange, et qui dévisage le visiteur, impressionne. 

 

 

Jean Hélion, Homme à la face rouge, 1943, col. part.

 

 

Des personnages allongés, des hommes qui lisent le journal, des choux et des citrouilles décortiqués, des mannequins de vitrines, un autoportrait au crayon où l’artiste se représente traits tirés, mine lasse, la poésie des toits de Paris, des marronniers dans un square, les thèmes ne manquent pas dans l’œuvre de Jean Hélion. Par-delà cette diversité, on reconnaît l’artiste d’emblée. 

 

 

Revue View, Mai 1946, dessin de couverture Jean Hélion


Jean Hélion, Homme couché, 1950, collection Jacqueline Hélion

 

Il faut ajouter les sujets tirés du métro et des fleuristes, comme dans cette aquarelle de la Galerie SR, de 1967, La marchande de fleurs devant l’entrée du métro où l’on peut voir, dans le fond, le capot d’une DS. C’était l’époque. Dans l’exposition du Musée d’art moderne, La Voiture de fleurs et le boucher (1964), et Métro (1969), font écho à l’aquarelle de la galerie. 

 

Jean Hélion, La voiture de fleurs et le boucher, 1964, Musée d'Art moderne de Paris


Jean Hélion, La marchande de fleurs devant l'entrée du métro, 1967, Galerie SR


Jean Hélion, Métro, 1969, Musée d'Art moderne de Paris

Dans toute œuvre, il est conseillé de soigner, dit-on, son introduction et sa conclusion. Malheureusement, l’ultime salle de l’exposition, qui présente les dernières années de l’artiste, devenu malvoyant – à partir de 1983, il ne pourra plus peindre – sont un peu pénibles. Les thèmes sont toujours là, mais comme repris mécaniquement, sans plus vraiment d’inspiration, et moins bien traités.

Dans Le Tabor et le Sinaï (Editions Belfond, 1988), Michel Tournier a ainsi évoqué l’art de Jean Hélion : « Cette peinture n’est figurative qu’en apparence, en fait c’est davantage une peinture de figuration. Tous ces objets, tous ces personnages sont des figurants, des doublures qui doutent et font douter de leur identité. » C’est juste. Cela expliquerait-il le fait que l’on peut se sentir extérieur à cet art ? Comme si l’artiste ne voulait pas nous faire entrer totalement dans son monde qu’il aurait souhaité – par orgueil ? – garder pour lui.

René Char, André du Bouchet ou Francis Ponge admirèrent l’œuvre de leur ami Jean Hélion. Gloire aux poètes ! Et même si l’on n’entre pas toujours dans cette œuvre, ou qu’elle ne nous touche pas en profondeur, il faut saluer l’art de Jean Hélion qui sut bondir et rebondir à une époque où la peinture était divisée entre abstraits et figuratifs – deux camps qu’Hélion explora sans préjugés, et qu’il marqua de son empreinte. 

 

 

 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com