Cet ouvrage, sur lequel nous avons longuement travaillé,
vient de paraître. Il mêle, comme nous l’aimons, art et littérature, et
s’intitule :
Jos Jullien à Charles Forot, lettres
d’un illustrateur à son éditeur (1920-1932).
Ce livre, de 380 pages,
est édité par les Archives départementales de l’Ardèche.
Prix de vente : 20
€ + frais de port.
Tél. des
Archives : 04 75 66 98 00.
La correspondance est
un genre littéraire en soi. Dans ce genre, bien particulier, qui a ses
amateurs, ses festivals, même, l’édition de ces lettres semble être une
première.
Souvent ont été
publiées des lettres échangées entre artistes, entre peintres et marchands,
entre peintres et critiques d’art, mais jamais, à notre connaissance, entre un
illustrateur et son éditeur.
Médecin et artiste, Jos Jullien
(1877-1956) est né à Tournon. Il vécut la majeure partie de sa vie à Joyeuse,
dans le sud du Vivarais.
Jos Jullien, vers 1935 |
Editeur et poète, Charles Forot
(1890-1973) est né à Saint-Félicien. Il créa chez lui, dans cette partie nord
du Vivarais, la maison d’édition « Au Pigeonnier ».
Charles Forot, vers 1918 |
A partir de 1920, une importante
correspondance s’échangea entre les deux hommes, qui prit fin à la mort de Jos
Jullien. Pour cette publication, la période retenue, 1920-1932, correspond aux
années pendant lesquelles Jos Jullien déploya, à côté de son métier de médecin
de campagne, une grande activité artistique et littéraire.
Dans la première moitié
du XXe siècle, beaucoup d’éditeurs firent le choix du livre
illustré, à tirages limités ou non. La plupart des grands artistes de
l’époque étaient sollicités par ces éditeurs, souvent parisiens : Derain,
Dufy, Foujita, Bonnard, Van Dongen, Rouault, Dali, Matisse, Picasso… Tant
d’autres. Aujourd’hui, ces livres sont avant tout recherchés pour la renommée
de leurs illustrateurs.
Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (recto) |
Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (verso) |
Charles Forot se spécialisa lui aussi, mais en province –
chez lui, en Ardèche – dans la publication de livres illustrés. Ce poète,
amateur d’art, s’entoura de bons artistes, comme Rose Seguin Bechetoille,
Adrien Mitton, Ludovic Rodo, Léon Schulz, Philippe Burnot, Jean Chièze… sans
oublier Jos Jullien qui décora vingt livres aux éditions du Pigeonnier (cf. le
site « Rhône estampes »).
Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925 |
Tout au long de cette correspondance, on suit le parcours
artistique du médecin de Joyeuse. Son goût pour le dessin, mais aussi, en 1920,
pour le bois gravé. Peu à peu, sur les conseils de Charles Forot, mentor en ce
domaine, Jos Jullien va pratiquer l’eau-forte, puis le burin. Doué, l’artiste
se jouera aisément, et en autodidacte, de ces différentes techniques.
Jos Jullien, Dr Faust, eau-forte, 1922 |
En tant qu’illustrateur, Jos Jullien dessine des lettrines,
des scènes de genre, mais aussi des portraits, sujet qui l’intéresse entre
tous. « Appliquons-nous à construire
la figure humaine », est alors son credo. Il réalisera notamment une
série de personnages de comédie et de tragédie (Faust, Sganarelle, Bérénice,
Don Juan…)
Jos Jullien, Portrait de Gabriel Faure, burin, 1925 |
Il fera de nombreux portraits d’écrivains, à commencer par
les deux auteurs qu’il admire le plus : Stendhal et Casanova. Mais aussi
Edgar Poe, Anna de Noailles, C. F. Ramuz, Léon Bloy… Pour les éditions de
Charles Forot, il dessinera un portrait de l'écrivain originaire de Tournon, Gabriel Faure, un de Tristan Derème,
et plusieurs de Paul Valéry, avec lequel il entretiendra une petite
correspondance.
Charles Forot lui commanda également le portrait de deux
poètes nés à Valence, que le poète éditeur eut sans doute l’occasion de connaître,
et qui scellèrent en partie sa vocation : le symboliste Louis Le Cardonnel,
et le fantaisiste Jean-Marc Bernard.
Jos Jullien, Portrait de Jean-Marc Bernard, sanguine, 1921 |
Beaucoup de réussites bibliophiliques marquèrent cette
collaboration entre Jos Jullien et Charles Forot. Parmi elles, on peut citer Viviers, d’André Hallays, Pages lyriques, de Gabriel Faure, Six chansons anciennes du Vivarais, de
Vincent d’Indy, Les Guerres d’enfer et
l’avenir de l’intelligence, de Pierre Benoit, A boire et à manger, de Léon Daudet, Paul Valéry, de René Fernandat…
Jos Jullien et André Hallays, Viviers, Au Pigeonnier, 1926 |
Mais il y eut aussi, entre les deux hommes, des projets qui
n’aboutirent pas : dessins pour illustrer une « Mme de Larnage »,
de Jean-Jacques Rousseau, six burins pour « Une saison en enfer », de Rimbaud, suite de burins pour illustrer Corydon, d'André Gide…
Jos Jullien, illustration pour Corydon, d'André Gide, burin, 1924 |
Les 340 lettres de Jos Jullien réunies dans cet ouvrage
permettent de suivre treize années de vie. Le travail d’un illustrateur au
service de son ami éditeur constitue l’intérêt premier de ces échanges. Mais
bien d’autres éléments apparaissent, qui définissent Jos Jullien : son
métier de médecin de campagne, son goût pour la préhistoire et l’archéologie
(avec les premières fouilles qu’il initie à Alba), son intérêt pour la
bibliophilie, ses lectures (Stendhal, Casanova, Morand, Gide, Suarès…), ses
lieux de villégiature, avec son épouse Camille (souvent au bord de la
Méditerranée), ses relations et amis, enfin quelque révélation sur sa vie
privée – pas le moins surprenant du livre…
Lettre de Jos Jullien à Charles Forot, 15 août 1925 |
Deux faits marquants, et un peu à part, symbolisent aussi
cette amitié. Le voyage en France de Ramuz, en avril 1926, qui verra l’écrivain
suisse se rendre à Joyeuse, chez Jos Jullien, puis, en compagnie du médecin
artiste, à Saint-Félicien, chez Charles Forot. Et la publication, en 1927, du
livre-hommage à Forot, initié par Jos Jullien, et réalisé avec l’aide de
Philippe Burnot : A Charles Forot,
au Pigeonnier. L’ouvrage aura été composé secrètement par l’ensemble des
amis écrivains et artistes amis de l’éditeur, et offert par Jullien à Forot le
7 août 1927, date apogée de cette amitié.
Dans ses lettres, Jos Jullien montre sa bonne formation en
lettres classiques, qui lui permet d’utiliser à l’envi des citations grecques
ou latines. Il montre aussi son tempérament, celui d’un optimiste qui va de
l’avant, avec la joie au cœur. « Tenez-vous
en joie », mais aussi « Soyez
toujours gai et entrain » sont quelques-unes des formules qu’il
affectionne. Et puis, transparaît tout un côté hédoniste chez Jos Jullien, avec
un goût prononcé pour le soleil qui, lorsqu’il fait beau, lui inspire cette
expression très imagée : « Le soleil
rit. »
Provenant du fonds Forot, si riche, conservé aux Archives
départementales de l’Ardèche, le livre comprend également la reproduction de
documents inédits, comme une lettre de Maurice Denis, et une autre de Paul
Valéry.
Lire une correspondance, c’est surprendre une conversation,
parfois très personnelle, et suivre, un peu par effraction, les liens d’amitié
qui naissent, se renforcent, mais aussi parfois se distendent entre deux êtres.
Lire une correspondance, c’est suivre deux inconnus en
voyage, et partager avec eux leurs conquêtes comme leurs échecs, leurs espoirs
comme leurs fragilités. A la fin du voyage, si la compagnie a été bonne, on est
toujours triste de devoir se séparer.
Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925 |
La presse régionale a
relayé cette publication. Le journaliste Gilbert Jean signale « le long compagnonnage intellectuel et
artistique de Jos Jullien et Charles Forot, et une longue amitié jamais
déçue » (Le Dauphiné Libéré,
2 avril 2018), tandis que le chroniqueur Pierre Vallier évoque « un imposant volume vient de paraître aux
Archives de l’Ardèche (380 pages), un trésor intellectuel pour le Vivarais, qui
souligne utilement le vif talent de l’un et de l’autre » (Le Dauphiné Libéré, 18 mars 2018).
Au-delà des « cas »
Jullien et Forot, cette publication a pour ambition de faire un état des arts
et des lettres en Vivarais au cours de la première moitié du XXe
siècle. Un « Répertoire des noms », en fin de volume, permet de mieux
situer écrivains et artistes, notamment Ardéchois, de ce temps-là. Aussi,
« trésor intellectuel pour le
Vivarais » est peut-être un peu fort, mais nous apprécions la formule…
Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925 |
« La vie est courte et belle. Pourquoi la gâter. » Faisons nôtre
cette pensée de Jos Jullien, qui reflète bien le « voyage » que nous
faisons en lisant ces lettres d’un illustrateur à son éditeur.
Galerie SR
16, rue de Tocqueville
75017 Paris
01 40 54 90 17
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