Maurice Ravel est un compositeur français, né en 1875 à Ciboure (Pyrénées-Atlantiques), mort à Paris en 1937. Dans sa dernière maison, à Montfort-l’Amaury, le musicien, facétieux, surgissait de son salon aux chinoiseries, s’installait à son piano pour jouer, dos droit, mains parallèles, ses Valses nobles et sentimentales… Jean Echenoz a dit tout cela mieux que personne dans Ravel paru aux Editions de Minuit, en 2006 : un classique.
Mais encore ?
Daniel Ravel est un peintre français, né le 3 mars 1915 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), mort près de Paris en 2002.
Aucun lien familial n’est à signaler entre Maurice et Daniel, nés à quarante années d’intervalle.
Lorsqu’on est un artiste, le plus difficile est de se faire un nom. Et lorsque celui-ci est déjà pris par un génie, il faut alors tenter d’imposer un prénom… La tâche est rude ! La Galerie SR propose des œuvres de Daniel Ravel, sans l’assurance que cela soit suffisant pour que la notoriété du peintre atteigne un jour celle du compositeur.
Né à Aix-en-Provence, Daniel Ravel passa une partie de sa jeunesse à Grenoble, où son père était professeur de français. A Grenoble, il fit l’Ecole des Beaux-Arts. Puis, à l’âge de dix-neuf ans, il quitta l’Isère pour s’installer à Paris et suivre des cours à l’Ecole des arts décoratifs. L’artiste en herbe avait fait le double choix, très jeune, de devenir peintre – et ce, à Paris. Il ne le regretta jamais.
L’art de Daniel Ravel connut une éclosion assez lente. La maturité s’en vint pour lui à la fin des années 1940, période où il commença à trouver sa « manière » pour ne plus jamais la quitter. Mais quel serait donc ce style ? Raffinement serait le mot qui arrive en premier, puis couleur, harmonie, subtilité, tempérance, lisière (abstrait-concret). Art français, s’il en est.
Daniel Ravel, Lumière éparse, huile sur toile, 60 x 92 cm, 1958 |
De grands aînés ? Souvent les mêmes ! Les Impressionnistes, Cézanne (son compatriote aixois, particulièrement admiré), Derain, Bonnard, Matisse. Pourtant, s’il ne faut citer qu’un « maitre » pour Ravel, c’est le nom de Jacques Villon qui vient à l’esprit. Né en 1875 (comme Maurice Ravel !), là est le modèle absolu pour Daniel Ravel.
Dans ses toiles irisées, le sujet voisine avec le non-sujet, car l’artiste parvient à séparer le réel de l’imaginaire. Une force poétique vient se mêler à l’ensemble. A ses heures perdues, Daniel Ravel, dans un coin de son atelier – comme celui qu’il eut dans cette zone frontière de ce nord-ouest parisien, avenue Emile Massard,– rêvait autant qu’il peignait. Ici, tout près de l’avenue Stéphane Mallarmé, il composait des poèmes dans sa tête de doux songeur. Il nous laisse ainsi également une autre part de lui-même.
Le peintre-poète a bien sûr consacré une offrande à ses couleurs préférées : « Jaune garance rouge orangé bleu vert et violet », nota t-il un jour. Pour commencer son texte par une interrogation : « Et si les couleurs n’étaient pas nées ensemble. » Et de poursuivre par cette quasi-certitude : « Le jaune a dû naître en premier. »
Le titre que donne un peintre à une œuvre est comme sa touche finale. C’est une indication pour mieux entrer dans le tableau. Les toiles, ici, s’intitulent : « Le Jour où les couleurs sont apparues », « Naissance dans le néant », « Parenté des oppositions », « Incandescence », « Espace bleu et jaune », « Lumière éparse »… Il n’y a qu’à se laisser porter.
Chez Ravel, les sujets sont variés. Quelques portraits existent, mais surtout des paysages, et encore davantage des natures mortes. Le tableau interroge. N’est-ce pas là un toit, une route, un horizon ? N’est-ce pas là une carafe, une bouteille, un vase ? Il faut se laisser aller face à cette sensation pure qui se dégage des formes étalées sur la toile. A l’une de ses peintures, l’artiste a donné pour titre : « Les objets attaquent la couleur ». Dans cette « attaque », on ne sait qui l’emporte.
Daniel Ravel, Lithographie, Catalogue Ravel, Galerie Saint-Germain, 1974
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Et l’homme Ravel, comment était-il ? Pas bien grand, et coquet – comme Maurice ! Une belle veste et un foulard en soie noué autour du cou lui donnaient un air élégant, à l’image de sa peinture. Pas dandy, cependant. Au dernier étage de son atelier situé dans un immeuble en brique, il accueillait, d’une voix un peu haut perchée, ses visiteurs, tout en les dévisageant de ses yeux d’un bleu clair délavé. Son regard pouvait impressionner, surtout quand il s’accompagnait d’un léger sourire énigmatique. Affable, Ravel, dont la nature était celle d’un solitaire, avait tout de l’être que l’on sentait vivre dans des pensées profondes, voire philosophiques. Peu bavard, les silences comptaient beaucoup pour lui, car porteurs de richesses. La forme d’intimité qui régnait dans son atelier, au milieu de toiles visibles (dont l’une, toujours en cours, sur un chevalet) ou retournées, appelait d’ailleurs à un certain retrait. On sentait, sous la carapace souple du peintre, un être écorché et pudique, peut-être aussi ce souvenir lancinant d’un père aimé, mort trop jeune, à l’âge de quarante-sept ans. Quand ce drame survint, Daniel Ravel n’avait que vingt ans. La blessure est alors ineffaçable. Par la suite, il alla régulièrement se recueillir sur la tombe de son père, à Cadenet, dans le Luberon. Là était la fêlure de l’artiste, et sa douleur profonde, car trop forte pour jamais pouvoir l’exprimer.
Daniel Ravel, Poème |
Alors s’est imposé un refuge, comme d’ailleurs pour chaque véritable peintre : l’atelier. Ravel en eut deux principaux, chacun dans le XVIIe arrondissement de Paris. L’un, 17, boulevard Gouvion-Saint-Cyr, où il avait comme voisin et ami le peintre Abel Bertram. L’autre, à partir du début des années 1970, au 1, avenue Emile Massard. Nul doute que dans chacun de ces lieux il fut réellement heureux, tout à sa création. Guettant aussi le moment exact, la disposition parfaite pour accomplir l’acte de créer. Et, quand les signes ne pouvaient s’inscrire sur la toile, il restait toujours les mots que l’artiste, grâce à son esprit rêveur, aimait à inventer ou assembler pour en faire un poème. Le dictionnaire, qu’il consultait souvent, lui inspirait aussi des pensées qui devenaient textes.
Vivant dans cet univers à part, cela ne devait pas être toujours facile pour sa femme, l’artiste peintre Tolev (1913-2004), qui construisit une œuvre parfois proche de celle de son mari. De son vrai nom Jeanne Pouplot, elle avait choisi le pseudonyme de Tolev, en réalisant une anagramme un peu compliquée, et à consonance plutôt masculine, à partir des deux dernières lettres de son nom de jeune fille, et des trois dernières lettres du nom de son mari. Elle a beaucoup apporté au peintre, qui l’appelait affectueusement Jeannette, à commencer bien sûr par les enfants qu’ils eurent ensemble, et que Ravel adora : Sabine et Denis.
Sinon, ce qui l’accompagnait dans son quotidien et le soutenait fort, c’étaient les cigarettes. Beaucoup. Des Gauloises. Reclus, d’une certaine manière, il passait ses journées dans un monde qu’il s’était fabriqué, lieu clos idéal, où les aspects du quotidien ne l’atteignaient pas, y compris ceux matériels auxquels il se sentait étranger. Sa vie s’écoulait ainsi, régulière. Selon les saisons, il rentrait plus ou moins tard, toujours à pied, de l’autre côté du périphérique, car il ne pouvait travailler qu’à la lumière du jour. On imagine la petite silhouette de Ravel, souvent vêtu de son imperméable beige, le corps légèrement courbé, marchant, par tout temps, de son atelier, situé près de la porte de Champerret, vers son domicile du boulevard Bineau, à Levallois-Perret. Vraie scène de film, dont le réalisateur aurait pu être Jean-Pierre Melville ou Pierre Granier-Deferre. Mais, une fois le cap du périphérique franchi, les pensées de l’artiste ne continuaient-elles pas de rester accrochées à l’atelier ? Puis, un Johnny Walker. Puis, le dîner en famille. Puis, la lecture, avec par exemple Robinson Crusoé – son livre préféré –, ou Teilhard de Chardin.
Daniel Ravel, Poème |
Daniel Ravel ne fréquentait qu’assez peu le monde de l’art. En revanche, il ne manquait jamais d’assister aux vernissages de ses amis peintres, comme Maurice-Elie Sarthou et Jacques Busse. Les Busse se joignaient même parfois aux Ravel pour partir en vacances dans une petite bergerie que Ravel avait achetée en Lozère, dans les années 1960, du côté des Gorges du Tarn, dans le hameau reculé de Hauterives, près de Sainte-Enimie. Là, au calme et dans la verdure, tout était idéal pour faire les fous, boire et s’amuser. Sans oublier les parties de pêche. Car Ravel aimait la vie, et les plaisirs simples qui en découlent.
Bien qu’assez éloigné, par l’esprit, du monde des expositions, il présentait quand même régulièrement ses travaux dans la plupart des grands Salons qu’il y avait à Paris : Salons d’automne, de mai, des Tuileries, des indépendants, des réalités nouvelles, ou encore Comparaisons. Plusieurs marchands, comme Lucien Durand, rue Mazarine, ou Jacques Massol, rue La Boétie, lui avaient consacré des expositions personnelles. Parfois, ses toiles figuraient dans des accrochages de groupe aux côtés d’autres peintres de renom comme Pierre Dmitrienko, Jean Cortot, Key Sato ou encore Jacques Germain. Avec Dmitrienko, mort trop jeune, Ravel fut particulièrement lié. Il lui vouait une admiration profonde, et le considérait comme le meilleur de sa génération. Par-delà les expositions et les galeries, des œuvres de Ravel sont conservées dans des musées : Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Centre Pompidou, Musée d’art moderne du Havre.
Daniel Ravel, Composition, aquarelle, 20 x 26,5 cm
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Daniel Ravel aimait à utiliser diverses techniques, à commencer par le crayon, mais aussi l’aquarelle, où il excella. Il pratiqua la gravure à l’eau-forte et réalisa des lithographies, notamment pour les affiches de ses expositions. En 1946, il illustra de lettrines le roman de Daniel-Rops, Sévéra, paru aux Editions du Roseau. La même année, aux Editions Lajeunesse, il accompagna de lithographies le conte d’Ernest Tisserand, Sylvère et son épée.
Enfin, œuvre fort différente, mais qui confirme les dons multiples de l’artiste, il réalisa en 1965, suite à une demande du village du Rayol-Canadel, un ensemble de maquettes pour des vitraux que l’on peut voir dans la chapelle Notre-Dame-du-Rosaire, au Canadel. Dans ce lieu de recueillement, une plaque indique : « Cette chapelle dédiée à Notre-Dame-du-Rosaire commémore le débarquement historique des commandos d’Afrique sur la plage du Canadel dans la nuit du 14 au 15 août 1944. » Dans ce coin du Var, Ravel a contribué à l’élaboration de cet édifice, en créant un ensemble de six vitraux abstraits, dont une rosace.
Daniel Ravel, Vitrail 1 |
Daniel Ravel, Vitrail 2 |
Daniel Ravel, Vitraux pour Notre-Dame-du-Rosaire, Le Rayol-Canadel-sur-Mer
Vers 1995, l’artiste posa ses pinceaux, rangea ses toiles et ses couleurs, replia son chevalet, avant de fermer une dernière fois la porte de son atelier. Depuis quelque temps déjà, il voyait – et surtout ses proches – son esprit lui échapper. Ses dernières recherches s’étaient portées sur des encres de Chine aquarellées, encore pleines d’énergie, mais dont l’aspect compartimenté symbolisait peut-être ces cases du cerveau qui devenaient peu à peu grises, ou plutôt s’éteignaient les unes après les autres. Soutenu par sa femme et ses enfants, l’artiste vécut jusqu’à la fin de ses jours dans cet état lacunaire, accentué par la maladie de Parkinson. Il s’éteignit le 5 février 2002, près de Paris, et fut enterré à Bonnières, dans l’Oise, à quelques kilomètres au nord de Beauvais. Après avoir quitté sa maison du sud de la France, il avait en effet acheté ici une maison de village. Il y venait souvent en famille pour y passer les fins de semaine ou les vacances d’été. Il profitait notamment de son jardin, qu’il laissait volontairement un peu en désordre, car il le préférait ainsi. Proche de la nature, il restait alors dans un état contemplatif.
Aujourd’hui, l’ensemble d’œuvres élaboré par l’artiste est une fête. Il offre un monde imprévisible et fascinant, où tout se transforme et s’invente au fil des heures du jour et de la nuit. Cette sensation est créée par l’assemblage des couleurs qui, tour à tour, se rétractent, s’atténuent, se fondent, s’unissent ou bien explosent, selon la lumière qui vient se poser sur elles. C’est une invitation au voyage offerte par un poète-artiste qui n’aura jamais réellement bougé que dans sa tête – avec pour exception un séjour en 1965 à Montréal, au Canada, qui lui inspira un ensemble de compositions verticales.
Dans l’un de ses écrits, Daniel Ravel donnait son sentiment sur ses recherches. Quelques années avant la fin de son parcours, il faisait ce constat :
« Lorsque ma vie sera finie
que les taches de couleurs tomberont sur moi
je sentirai
qu’une vie a suffi
à entrevoir l’inaccessible. »
L’exigence de l’artiste est là, faite à la fois de modestie et d’ambition infinie.
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