Galerie SR, 16, rue de Tocqueville, 75017 Paris |
En ce printemps 2012, cela fait dix-huit ans que, dans le dix-septième arrondissement de Paris, la Galerie SR, tenue par Stéphane Rochette, existe : le temps de la majorité. Le lieu, qui n'a jamais rien bousculé et se fond donc parfaitement dans le décor environnant de ce quartier bourgeois et retiré, porte avant tout son attention sur l'art de la première moitié du XXème siècle, surtout lorsqu'il a un lien avec la littérature.
Parc Monceau, Rotonde de Ledoux |
Ici, au 16, Tocqueville, côté Villiers donc, on n'est pas loin des Batignolles, mais plus près encore de la plaine Monceau, qui, peut-on dire, commence ou finit là. Ce serait au fond l'un de ces coins de province que l'on croise souvent dans Paris. Aux abords du parc Monceau, et de sa Rotonde de Ledoux, la vie s'écoule languide, feutrée, cachée. Nul n'exhibe son pouvoir ou sa richesse. Derrière les hôtels particuliers, ou dans les vastes appartements environnants, les heures de gloire comme les revers de fortune ne donnent aucune prise à des commentaires qui se voudraient indiscrets. L'art qui habille les intérieurs est, lui aussi, en majorité sage et convenable. Le dessin, ancien, de qualité, est davantage apprécié, et collectionné, que la dernière trouvaille contemporaine, minimale, ou faussement provocante.
Parc Monceau, entrée boulevard de Courcelles |
Mais quittons ce qui n'est peut-être au fond qu'une succession de clichés, pour proposer un temps aux cimaises de la galerie quatre vrais artistes d'aujourd'hui et de demain, quatre hommes charmants en vérité, dont il ne faut pas avoir peur, même s'ils sont un peu fous à leur manière. Ils se prénomment Alex, Georges, Jacques et Bruno, ne se connaissent pas, et vivent en marginaux ou agissent en rebelles. Certains cumulent les deux fonctions. Ils se tiennent à l'écart du barnum artistique réglementé, et hautement tarifé. En un mot, ils font leur œuvre, et dans leur œuvre ils jouent leur vie. Comme il faut bien parfois sortir de sa coquille, et parce qu'ils ont un travail qui s'impose de lui-même, ils exposent à l'occasion dans des galeries, ou dans certaines institutions qui comptent. Les musées, jusque-là, les ignorent largement. Cela peut changer un jour. On le souhaite. En attendant, quelques semaines durant, ils donnent beaucoup de joie à l'obscur galeriste qui les accueille dans ce quartier qui ne serait jamais le leur si jamais ils vivaient à Paris, mais ce n'est pas leur cas. A la lisière de cette plaine Monceau, calme et reposante, où rien ne dépasse, où tout est trop harmonieux, quelques peintures, dessins, gravures et photographies signés Barbier, Bru, Muron et Wagner tentent de changer un peu les regards, de réveiller un peu les esprits. C'est le printemps, au 16, Tocqueville. Il faut jouir de l'instant présent.
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Alex Barbier
Né en 1950 à Saint-Claude, dans le Jura, où il vit et travaille.
Une nature, une personnalité, qui, à l'image de son œuvre, en dérange certains : nul doute, Alex Barbier, c'est quelqu'un. La provocation en soi ne l'intéresse pas. Ce qu'il déploie, dans sa vie, comme dans son travail d'artiste, c'est une singularité. Des maîtres, pourtant, il en a plein les yeux. De Courbet à Bacon, en passant par d'autres grands classiques, il les observe et les admire pour mieux les oublier et faire avant tout du Barbier.
Mais c'est quoi, au juste, du Barbier ? D'abord des bandes dessinées qui explosent les codes du genre, narrent des histoires à ne pas mettre entre toutes les mains, et plongent le lecteur dans des délires aux personnages, animaux, paysages, et intérieurs d'une force tellurique. C'est aussi un peintre, qui ne fait pas forcément entrer le même monde, ni les mêmes ingrédients, dans ses huiles, car il n'ignore pas la différence entre un tableau et une case de bande dessinée, et sait donc que la simple transposition, en général, ne colle pas. Cependant, souvent les sujets voisinent, à commencer par celui de l'érotisme, chez lui infiniment sensuel, brut, un peu voyeur. Les corps, jamais vulgaires, se confondent. Tout est soutenu par un choix de couleurs sûr et somptueux - pas de faute, là non plus - avec des rouges incandescents. Autre thème aimé de l'artiste, les portraits, ou plutôt des personnages représentés dans leur quotidien, ou leur abandon ; mais aussi les espaces clos, et les vues depuis des fenêtres, qui projettent l'imagination du spectateur dans d'autres arcanes ; enfin, les paysages, ceux du Jura notamment, vont à l'essentiel, quelle que soit la saison ou l'heure du jour choisie. Dans ces œuvres de peintre, de seul peintre (la bande dessinée est loin ici), une autre intensité agit, pas forcément la moins dense.
Alex Barbier, Le Couple au témoin, huile sur papier, 75 x 110 cm, 2005. |
Mais c'est quoi, au juste, du Barbier ? D'abord des bandes dessinées qui explosent les codes du genre, narrent des histoires à ne pas mettre entre toutes les mains, et plongent le lecteur dans des délires aux personnages, animaux, paysages, et intérieurs d'une force tellurique. C'est aussi un peintre, qui ne fait pas forcément entrer le même monde, ni les mêmes ingrédients, dans ses huiles, car il n'ignore pas la différence entre un tableau et une case de bande dessinée, et sait donc que la simple transposition, en général, ne colle pas. Cependant, souvent les sujets voisinent, à commencer par celui de l'érotisme, chez lui infiniment sensuel, brut, un peu voyeur. Les corps, jamais vulgaires, se confondent. Tout est soutenu par un choix de couleurs sûr et somptueux - pas de faute, là non plus - avec des rouges incandescents. Autre thème aimé de l'artiste, les portraits, ou plutôt des personnages représentés dans leur quotidien, ou leur abandon ; mais aussi les espaces clos, et les vues depuis des fenêtres, qui projettent l'imagination du spectateur dans d'autres arcanes ; enfin, les paysages, ceux du Jura notamment, vont à l'essentiel, quelle que soit la saison ou l'heure du jour choisie. Dans ces œuvres de peintre, de seul peintre (la bande dessinée est loin ici), une autre intensité agit, pas forcément la moins dense.
Alex Barbier, Homme nu debout, huile sur papier, 110 x 75 cm, 2002. |
Il aime les aventures de la nuit, comme celle du jour. Il aime la vie silencieuse de son atelier. Il aime sa femme. Il aime son fils. Il a quelques amis avec lesquels il rit. Il aime entretenir son corps, en salle de sport. Il aime la musique, la "grande", comme la plus gouailleuse d'une Fréhel, par exemple, qu'il revisite dans ses interprétations, car il chante, et plutôt bien.
Quand Alex Barbier s'exprime, ce n'est jamais banal. Il faut écouter ce qu'il dit. Ses mots ou citations sont choisis avec soin. Il sait exactement où va sa pensée, et goûts ou dégoûts sont dits avec une égale conviction. L'alcool lui permet parfois de franchir des caps.
Alex Barbier, Fenêtre ouverte à Saint-Claude, huile sur papier, 110 x 75 cm, 2004. |
Il vit à Saint-Claude, mais aussi un peu à Paris. Fin, cultivé, esthète, sous des apparences vaguement provocantes (Perfecto, lunettes noires qui dissimulent des yeux bleus si clairs, cheveux blonds décolorés), la "façade" Barbier cache bien une hypersensibilité quasi maladive. Il est le plus littéraire des peintres d'aujourd'hui. Tant qu'il a un livre de Victor Hugo, de Céline ou de Burroughs entre les mains (il peut citer de ces auteurs, comme de quelques autres, des morceaux entiers), il sourit à la vie, car la vie est belle pour lui. Il reste un incompris, qu'il ne faut pas juger, mais célébrer.
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Georges Bru
Né en 1933 à Fumel, dans le Lot-et-Garonne ; vit et travaille à Toulon.
Pour se rendre chez Georges et Suzanne Bru, à Toulon, rien de plus facile. Il suffit de suivre les indications "Mont Faron", et, une fois parvenu au téléphérique, on est arrivé. Il n'y a d'ailleurs pas beaucoup de villes en France où la signalisation est aussi excellente. Quand on entre dans leur maison, on est surpris. L'étonnement vient des œuvres exposées dans les deux pièces principales. Alors que tant d'artistes ne montrent que leurs propres travaux, là, il faut avoir l’œil bien exercé pour apercevoir un Bru - et encore, tout petit, mais divin. Que voit-on d'autre, alors ? Des choses étranges, en vérité, signées Fred Bédarride, Francis Bacon, Louis Soutter, Bernard Faucon, Denis Rivière... On devine tout de suite que le bain dans lequel on trempe n'est pas composé d'eau tiède. Déjà, ces œuvres-là, on ne les oublie pas, mais les Bru, où se cachent-ils ? Il faut chercher ailleurs. C'est dans l'atelier que l'on va pouvoir rencontrer ces êtres qui peuplent l'un des univers les plus forts que le dessin ait engendrés depuis quarante ans. Pour gagner ce lieu privilégié, on passe par le jardin, on descend quelques marches, puis cette fois on y est.
Georges Bru, Personnages deux en un, technique mixte sur papier, 27,5 x 18,3 cm, 2010. |
L'atelier se divise en deux parties, mais, là encore, il faut ouvrir l’œil pour dénicher le moindre dessin de l'artiste. Lui, sous sa barbe dionysiaque, doit bien s'amuser. L'un des recoins est rempli de livres d'art, de disques vinyle et de CD. Installé près de son ordinateur, parmi cet amoncellement d'objets qui lui sont si précieux, Georges Bru, spécialiste du trompettiste Clifford Brown, rêve à sa prochaine acquisition d'une nouvelle version d'I remember Clifford. L'autre partie, longée de fenêtres, est celle où il travaille. Les œuvres sont là, mais retournées. La frustration continue, mais plus pour longtemps, car peu à peu le dessinateur baisse sa grande carcasse, s'empare d'un dessin, posé à même le sol, puis d'un autre, et vous les tend - vous les offre, presque - avec délicatesse. Georges Bru, au fond, est un grand sentimental.
Georges Bru, Portrait d'un pâtissier, technique mixte sur papier, 18,3, x 18 cm, 2006. |
Chaque personnage de ce "peuple Bru" joue son rôle, solitaire en général, parfois une badine à la main. La fascination - elle est extrême - vient de l'étrangeté dans laquelle des êtres aux corps difformes, mais pas forcément disgracieux, semblent souvent accomplir des actes de fous ou de sadiques, mais parfois aussi des actions de grâce, toujours le plus doucereusement du monde. La technique de l'artiste donne un grain parfait, plus ou moins velouté, qui convient à la scène. Faire du Bru serait impossible, car il est inimitable. Une fois découvert, ce "peuple Bru" ne peut plus s'oublier.
Georges Bru, Personnage couché, technique mixte sur papier, 14 x 21,5 cm, 2004. |
Après l'atelier, après le verre partagé, on quitte à regret Suzanne et Georges Bru, ainsi que ces lieux si habités. Des hauteurs vers la mer, les indications sont toujours aussi précises à Toulon, mais l'esprit est ailleurs. Hanté par la vie des personnages rencontrés, il reste suspendu à ce monde entrevu. Ce n'est pourtant pas le moment d'être distrait. Un accident pourrait arriver. Cela ferait à peine ciller le Militaire et baudrier, désinvolte, impassible, lui aussi perdu dans ses rêves...
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Jacques Muron
Né à Toulouse, en 1950 ; vit et travaille à Mane, en Haute-Garonne.
Discret, réservé, sans certitudes, ainsi est Jacques Muron. Quand on pense à lui, on l'imagine penché sur sa plaque de cuivre, qu'il attaque rituellement au burin. Au rez-de-chaussée de sa maison familiale, il s'est aménagé un grand atelier. N'y entre pas qui veut. Sa vie se fait ici plus que dans les étages. C'est également là que son sens de l'observation prend corps, et que ses visions de monde perdu, englouti ou rêvé, se concrétisent. Tout autour de lui, parfaitement rangés, classés, repérables, à portée de la main, prennent place les outils, et autres crayons 4B, qu'use le dessinateur-graveur. Ils forment de petites installations étonnantes, objets précieux, maniés et caressés par des mains d'orfèvre.
Les tables sont là aussi, celle pour graver la plaque, celle avec la presse, celle pour poser les grands cartons à dessins, et feuilleter ainsi, précautionneusement, non sans rite ni cérémonie, tout ou partie de l’œuvre du gardien des lieux. Le silence est d'or. C'est ici que, depuis plus de vingt-cinq ans, une fois les Beaux-Arts de Toulouse et la Villa Médicis de Rome digérés, l'homme a pu prendre sa route, en solitaire, et se forger un destin. Avec pour principale religion : celle du burin.
Jacques Muron, Les Fraises, burin, 18,7 x 24,3 cm, 2008. |
Les tables sont là aussi, celle pour graver la plaque, celle avec la presse, celle pour poser les grands cartons à dessins, et feuilleter ainsi, précautionneusement, non sans rite ni cérémonie, tout ou partie de l’œuvre du gardien des lieux. Le silence est d'or. C'est ici que, depuis plus de vingt-cinq ans, une fois les Beaux-Arts de Toulouse et la Villa Médicis de Rome digérés, l'homme a pu prendre sa route, en solitaire, et se forger un destin. Avec pour principale religion : celle du burin.
Jacques Muron, Arcane, burin, 29,9 x 29,9 cm, 1986. |
Le cercle des graveurs, et de ses amateurs, est un monde en soi. Clos. A l'écart du marché de l'art, et de ses excès. Comme partout, il s'y trouve pourtant quelque artiste tapageur, aux œuvres tape-à-l’œil. Jacques Muron est tout le contraire. Il tire son inspiration du quotidien, comme dans ces objets ou insectes qu'il recrée à la perfection, mais avec un esprit décalé, qui donne à ces pièces une présence étrange. Des fermes, des granges, des usines à l'abandon, qui traversent les paysages du Comminges et du Couserans, constituent aussi ses champs de conquête et d'inspiration. Dans une autre vie, l'artiste aurait pu être architecte, car nul mieux que lui ne perçoit la beauté de ces "monuments" de bois ou de pierre ressuscités par sa grâce. Ici, dans le sud de la Haute-Garonne, à deux pas de l'Ariège, l'artiste parcourt les sentiers, longe les rivières, scrute les montagnes, qu'il peut même contempler à loisir, par temps dégagé, de sa maison située sur les hauteurs de Mane, son village. Il embrasse la nature avec laquelle il fait corps. Il respire bien. Puis, retour à l'atelier, regards sur quelques croquis ou photographies qui donnent des repères, et le travail reprend, avec une lenteur souveraine, car il ne peut en être autrement pour cette œuvre de maître joaillier. Si ce n'était qu'une question de technique, cela n'aurait pas d'intérêt. Derrière cela, l'imaginaire travaille, qui fait presque oublier la mécanique de précision. Quelques rares nouvelles pièces éclosent ainsi chaque année. Les collectionneurs de l'artiste, des aficionados, patientent, avant la récompense. Ils savent qu'au bout de cette attente, va naître une nouvelle pépite.
Jacques Muron, La Maison oblique, burin, 31,4 x 29,9 cm, 1998. |
Intérieurement, Jacques Muron sait qu'il a eu raison de choisir cette vie de lenteur, et de labeur, même si elle doit le tenir à l'écart de la fureur du monde. Ce parcours, vécu comme un sacerdoce voulu et consenti, et qui a pour divinité la gravure au burin, l'aura conduit à faire une œuvre qui s'est imposée. Pour ne jamais avoir dévié de sa trajectoire, ni reculé, au fond de lui, il est heureux.
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Bruno Wagner
Né en 1965 à Châteauroux, dans l'Indre ; vit et travaille à Urau, en Haute-Garonne.
On n'enferme pas les enfants. Les petits, comme les grands. Bruno Wagner est un grand enfant. Voilà pourquoi il ne vit que d'amour et de liberté, mais aussi d'instants présents qu'il capte dans ses photographies, saisies au vol, un peu partout, mais pas tout le temps. Il y a des moments pour cela. C'est son instinct qui dicte le lieu et l'heure de s'emparer d'une caméra ou d'un appareil photo. Après, en général, son flair de rôdeur d'images ne trompe pas.
D'abord photographe, la vidéo a pris, au fil des ans, une place importante dans son travail. Il en réalise pour lui, mais surtout à la demande de compagnies de théâtre ou de danse. Ce que l'on recherche chez Bruno Wagner, c'est cette part de rêve, de merveilleux, qui nimbe chacun de ses travaux. Toujours l'enfant. Très jeune, il a fabriqué les livres les plus beaux de la terre. Ils portent des titres légers, comme Le Chemin des Dames (qu'il connaît bien...), ou Flore, Zéphyr et l'herboriste. Ils contiennent des poèmes, tendres ou exaltés, des dessins, des collages et des photographies. Depuis, cet univers de fausse innocence, mêlée à une vraie candeur, ne l'a jamais quitté.
Des rêves, il en a plein la tête. Il les accomplit souvent. Spéléologue aguerri, il descend dans des grottes ; il chevauche des Appaloosas pour franchir les Pyrénées, de la France vers l'Espagne ; il veille sur ses animaux (moutons, lapins, chat), surtout sur ses abeilles qui produisent un nectar, le miel du "Moulin de Cabiroun" (lieu où il vit, à Urau) ; il aime le goût des plantes, que l'on trouve dans les alcools forts, ou ailleurs ; il a monté un festival, "Les URAUquoises". Il ne s'ennuie jamais.
S'il habite en pleine nature, ce n'est pas en bon sauvage. Les grands espaces et les humains l'attirent, comme ceux de sa région des Pyrénées, ou bien ceux d'Islande, ou il a vécu, en hiver, dans des coins reculés du pays, des aventures glaciales extrêmes. Mais les us et coutumes des villes - et surtout des êtres qui les peuplent - sont là aussi pour l'inspirer. Istanbul, par exemple, mais aussi partout où il voit dans les yeux des gens des étincelles de joie ou de détresse. Il souligne souvent l'absurdité du monde en accolant dos à dos deux images dont l'une est renversée. Chacune s'inspire d'un instant différent de sa vie. Il accompagne parfois ces bouts d'histoires de textes lapidaires, qui se désespèrent de voir que l'amour n'est pas davantage présent sur notre terre. S'il a compris, depuis longtemps, que l'homme est un loup pour l'homme, lui, ce sont les ours qu'il aime, et voudrait croiser un jour, en se baladant près de chez lui.
Parmi les nombreuses rencontres de sa vie, celle, en 1990, à Toulouse avec le metteur en scène et peintre polonais Tadeusz Kantor l'a beaucoup marqué. A partir de là, est née une série d'images et d'installations concrétisée par un ouvrage intitulé A la frontière. Jalon premier d'une œuvre qui a connu depuis mille séries, mille films, mille rebondissements. Il faut voir ses images, bien sûr, mais aussi ses affiches, pleines d'une invention lunaire, il faut lire ses écrits, qui contiennent sa rage d'exister et d'aimer. Il vit à la fois au ralenti et à cent à l'heure. Conduit à deux cents. Bruno Wagner est un enfant, certes, mais un enfant terrible...
Bruno Wagner, L’Ame de Jökull, Digigraphie, 53,5 x 60 cm, 2012. |
On n'enferme pas les enfants. Les petits, comme les grands. Bruno Wagner est un grand enfant. Voilà pourquoi il ne vit que d'amour et de liberté, mais aussi d'instants présents qu'il capte dans ses photographies, saisies au vol, un peu partout, mais pas tout le temps. Il y a des moments pour cela. C'est son instinct qui dicte le lieu et l'heure de s'emparer d'une caméra ou d'un appareil photo. Après, en général, son flair de rôdeur d'images ne trompe pas.
Bruno Wagner, Voyageurs immobiles, Digigraphie, 60 x 60 cm, 2012. |
D'abord photographe, la vidéo a pris, au fil des ans, une place importante dans son travail. Il en réalise pour lui, mais surtout à la demande de compagnies de théâtre ou de danse. Ce que l'on recherche chez Bruno Wagner, c'est cette part de rêve, de merveilleux, qui nimbe chacun de ses travaux. Toujours l'enfant. Très jeune, il a fabriqué les livres les plus beaux de la terre. Ils portent des titres légers, comme Le Chemin des Dames (qu'il connaît bien...), ou Flore, Zéphyr et l'herboriste. Ils contiennent des poèmes, tendres ou exaltés, des dessins, des collages et des photographies. Depuis, cet univers de fausse innocence, mêlée à une vraie candeur, ne l'a jamais quitté.
Des rêves, il en a plein la tête. Il les accomplit souvent. Spéléologue aguerri, il descend dans des grottes ; il chevauche des Appaloosas pour franchir les Pyrénées, de la France vers l'Espagne ; il veille sur ses animaux (moutons, lapins, chat), surtout sur ses abeilles qui produisent un nectar, le miel du "Moulin de Cabiroun" (lieu où il vit, à Urau) ; il aime le goût des plantes, que l'on trouve dans les alcools forts, ou ailleurs ; il a monté un festival, "Les URAUquoises". Il ne s'ennuie jamais.
Bruno Wagner, Inside the Forest, Digigraphie, 44,8 x 60 cm, 2012. |
S'il habite en pleine nature, ce n'est pas en bon sauvage. Les grands espaces et les humains l'attirent, comme ceux de sa région des Pyrénées, ou bien ceux d'Islande, ou il a vécu, en hiver, dans des coins reculés du pays, des aventures glaciales extrêmes. Mais les us et coutumes des villes - et surtout des êtres qui les peuplent - sont là aussi pour l'inspirer. Istanbul, par exemple, mais aussi partout où il voit dans les yeux des gens des étincelles de joie ou de détresse. Il souligne souvent l'absurdité du monde en accolant dos à dos deux images dont l'une est renversée. Chacune s'inspire d'un instant différent de sa vie. Il accompagne parfois ces bouts d'histoires de textes lapidaires, qui se désespèrent de voir que l'amour n'est pas davantage présent sur notre terre. S'il a compris, depuis longtemps, que l'homme est un loup pour l'homme, lui, ce sont les ours qu'il aime, et voudrait croiser un jour, en se baladant près de chez lui.
Bruno Wagner, Les Portes de Walhalla, Digigraphie, 53,5 x 60 cm, 2012. |
Parmi les nombreuses rencontres de sa vie, celle, en 1990, à Toulouse avec le metteur en scène et peintre polonais Tadeusz Kantor l'a beaucoup marqué. A partir de là, est née une série d'images et d'installations concrétisée par un ouvrage intitulé A la frontière. Jalon premier d'une œuvre qui a connu depuis mille séries, mille films, mille rebondissements. Il faut voir ses images, bien sûr, mais aussi ses affiches, pleines d'une invention lunaire, il faut lire ses écrits, qui contiennent sa rage d'exister et d'aimer. Il vit à la fois au ralenti et à cent à l'heure. Conduit à deux cents. Bruno Wagner est un enfant, certes, mais un enfant terrible...
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16, rue de Tocqueville
75017 Paris
(Métro Villiers)
Tél. 01 40 54 90 17