Quiconque est
déjà allé à Valence, en connaît un peu les « spécialités » : le
lieutenant Bonaparte, la Maison des Têtes, la place Saint-Jean, la place des
Clercs, le Pendentif, le parc Jouvet, le kiosque des amoureux de Peynet, les
châteaux d’eau de Philolaos, la pogne Maurin et le Suisse Nivon (c’est la même
maison, 17, avenue Pierre Semard, en face de la gare), et, ce qui est peut-être le plus célèbre
à travers le monde : la maison Pic. Il s’agit, bien sûr, du fameux
restaurant situé 285, avenue Victor Hugo, vénérable institution fondée par
André Pic, poursuivie par son fils Jacques Pic, et dirigée aujourd’hui par la
fille de Jacques, Anne-Sophie Pic. Chacune de ces trois générations a obtenu
trois étoiles au guide Michelin, ce qui en fait là une maison unique au monde.
Unique comme Pic !
Autre lieu
d’intérêt de la première ville de la Drôme, son Musée des beaux-arts et
d’archéologie. Créé vers 1830, et immuablement situé place des Ormeaux, à
l’ombre de la cathédrale Saint-Apollinaire, il avait besoin au début du XXIe
siècle d’une rénovation, et d’une extension. Après plusieurs années de fermeture, ce
grand projet, porté par la directrice du musée Hélène Moulin-Stanislas, suivi
et financé par les municipalités successives de droite et de gauche, fut réalisé
par un architecte au-dessus de tout soupçon, hormis de professionnalisme, Jean-Paul
Philippon (celui du Musée des beaux-arts de Quimper, de La Piscine à Roubaix…).
Et c’est ainsi qu’un certain vendredi 13 décembre 2013, la foule, enfin celle
qui n’était pas superstitieuse, se pressa pour assister émerveillée à la
renaissance du phénix.
A l’ancien
bâtiment historique devenu trop étroit, et inadapté, il fallait donner davantage
qu’un simple coup de pinceau. Cela a été fait avec intelligence par un
architecte inspiré qui a su à merveille mélanger parties anciennes et modernes.
Avec un trait de génie en plus, celui d’avoir fait entrer la ville dans le
musée. Autrefois pareil lieu de culture était, la plupart du temps, une
forteresse repliée sur elle-même. Imprenable. Aujourd’hui, le pont-levis est
baissé, et un musée s’associe à la cité et à ses habitants, mettant en lumière
bâtiments et paysages environnants. Cela devient un classique, et c’est
heureux. Après le musée Jean Cocteau, à Menton, et le Mucem, à Marseille, le
Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence joue dans ce registre de lieu
que l’on visite avant tout pour ce qu’il propose à voir intra muros, mais aussi, grâce à des baies vitrées et à ses deux
terrasses, pour ses points de vue tournés vers l’extérieur : la
cathédrale, les toits de la ville, le Champ-de-Mars, le Rhône, les collines
ardéchoises… Des sièges sont proposés pour la contemplation, la rêverie, la
lecture, à l’ombre ou au soleil. Un bâtiment culturel qui donne envie de venir,
et de revenir, car l’on s’y sent bien, et l’on y est bien accueilli.
Musée de Valence - Jardin intérieur |
Un cartel,
affiché en plusieurs endroits, indique tout ce que l’on peut faire dans ce
lieu, une sorte de « Dix commandements » (même si là, ils sont
quatorze), dont ceux de s’« émerveiller », de « prendre le
temps » et même d’« aimer ». Gageons que c’est au pied de la
lettre que cette injonction est proclamée… Ce cartel reflète en tout cas l’état
d’esprit du musée !
Pour ce qui
concerne la collection, elle va de mosaïques d’avant Jésus-Christ jusqu’à l’art
le plus contemporain. La section archéologique, souvent rébarbative dans ce
genre d’endroit, s’imbrique ici parfaitement avec le reste des œuvres exposées.
Une grande salle lumineuse, côté cathédrale, est particulièrement réussie.
Masque à cordon de billettes, XIIe s. |
Quelle bonne
idée d’entrer dans un musée et de poser son premier regard sur une œuvre
joyeuse ! Tel est le cas avec l’installation-sculpture monumentale et
colorée, Paysage au grand galop, des deux
artistes suisses Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger. Puis, du rez-de-chaussée aux
étages, on chemine d’une époque à l’autre, toujours avec intérêt, voire
ravissement pour qui a l’esprit curieux.
Puisqu’il faut
tout voir dans ce musée généraliste (de 5 800 mètres carrés, tout de même), il
n’est pas nécessaire, comme Thésée, de se munir du fil d’Ariane, même si
parfois il serait bien utile dans ce dédale ! Attention ! Un virage
un peu dissimulé, suivi d’un mince couloir, peut tout à coup mener vers une
grande salle ! Chaque époque, chaque domaine est bien expliqué grâce à des
panneaux écrits en plusieurs langues et aux titres
évocateurs : « Valence, un des premiers évêchés de la
chrétienté », « Artisanat urbain et ateliers ruraux »,
« Robert des Ruines », « Julien-Victor Veyrenc, un mystérieux
donateur », « André Lhote, peintre, théoricien et professeur »,
« Artistes en Drôme au XXe siècle », « Voyage sans
boussole »…
Dire que le
musée de Valence, comme certains autres musées de province, contient
« un » chef-d’œuvre incontestable et incontesté, que l’on viendrait
spécialement contempler de loin, serait exagéré. C’est la qualité
« moyenne » de la collection qui est justement… au-dessus de la
moyenne ! C’est surtout une promenade subtile et savante qui est offerte
aux visiteurs. Et, grâce à un agrandissement maitrisé, le charme et la douceur
que l’on aime à retrouver dans les musées de province est intact. Une gageure.
D’une salle à
l’autre, comment ne pas être séduit, ou admiratif, devant telle ou telle pièce,
dont voici quelques éléments : un bel ensemble de natures mortes ;
quatre grandes toiles italiennes du XVIIe siècle évoquant la vie du
Christ :
Un choix de peintures du XVIe au XXe siècle :
Une salle d’Histoire naturelle, judicieusement conservée quand
d’autres musées de France ont relégué dans leurs réserves ce genre de pièces
qui fascinent pourtant petits et grand :
Une salle André Lhote, qui vécut
longtemps à Mirmande :
Une autre de céramiques consacrée aux œuvres
réalisées à Dieulefit et à Cliousclat, mais aussi à celles créées par Maurice
Savin, une découverte :
De nombreuses œuvres d’art moderne et contemporain regroupées
entre elles, mais aussi mêlées à d’autres, plus anciennes, tout au long du
parcours :
Plusieurs pièces monumentales du sculpteur Etienne-Martin, Drômois d’origine, qui semblent semées ça et là comme de grands cailloux, ou des totems :
Une « fenêtre » de Pierre Buraglio, symbolisant
l’époque où l’artiste enseigna à l’Ecole des beaux-arts de la ville :
Un
long corridor, menant à la galerie ogivale, présentant sous vitrines des pièces
variées, le tout formant un cabinet de curiosités. De-ci de-là, des Joan
Mitchell, Sophie Calle, Jean Le Moal, Tal Coat, Vieira da Silva, Bram van Velde, Olivier
Debré… De ce dernier une œuvre de 1960, presque plus Soulages que Debré,
Jardin du noir. A ce sujet, nous ne
saurions trop conseiller à la ville d’acheter un ou deux autres Debré, tant cet
artiste majeur de la peinture française du XXe siècle n’a pas encore
la place qui lui revient. Pourquoi ne pas investir dans un paysage de Loire
(laquelle prend sa source au Mont Gerbier de Jonc, c’est-à-dire en Ardèche !),
ou bien dans l’une de ses peintures inspirées par l’Inde ?
Si le musée de
Valence ne contient pas « un » chef-d’œuvre incontestable – quoique –
il tient avant tout sa réputation grâce à son ensemble d’œuvres d’Hubert Robert,
le plus important en France (devant le Louvre). Il est ici présenté dans deux salles,
l’une réservée aux sanguines, l’autre aux peintures. Et, de cet artiste,
communément appelé Robert des Ruines, une huile se détache, Le Pont triomphal. Cette
composition, toute en théâtralité, offre une perspective lumineuse vers un pont
surmonté d’un arc de triomphe majestueux. Hubert Robert montre cette vue depuis l’arche
d’un autre pont, créant ainsi un passage saisissant d’un clair-obscur à la
lumière. D’une rive à l’autre, des personnages semblent s’affairer à leurs
occupations, sans prendre garde à la beauté irréelle des sites dans lesquels
ils évoluent. Magnifique. Sans doute sommes-nous ici en présence du tableau
iconique du musée (Lire à ce sujet : Hélène Moulin-Stanislas, Hubert Robert, Embarcadère pour le Musée de
Valence, Fage Editions, 2014).
Hubert Robert, Le Pont triomphal, vers 1780-1790 |
Une dernière
précision est à apporter. Le musée de Valence comprend une importante
bibliothèque, la bibliothèque Arsène Héritier. Consacrée à l’art et à
l’archéologie, et forte de plus de dix mille livres, elle est ouverte au public,
ce qui est presque unique en France. Voilà un vrai cadeau fait par la ville,
via son musée, aux Valentinois et aux chercheurs extérieurs.
Hélène Moulin-Stanislas
et ses collaborateurs peuvent être heureux du changement d’époque qu’aura vécu
leur lieu fétiche – et de travail – au début du XXIe siècle. S’il
existait un guide Michelin des musées de France, comme il en existe un pour la
gastronomie, nul doute que celui de Valence gagnerait une étoile et grimperait en flèche dans le classement des musées du pays (Paris et
province confondus). Quand on sait combien ces étoiles sont difficiles à
décrocher, on ne peut que saluer toutes celles et ceux qui ont participé à ce
développement réussi.
Le Rhône vu depuis le musée |
"C'est là, sur ces bords du Rhône, que l'on voit la plus admirable lumière du monde."
Voilà un bel hommage - mérité -, composé avec talent, et amour !
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