Le goût profond pour l’art, et la peinture en particulier, est rare chez l’être humain qui s’intéressera davantage au sport, à la science, à la politique, aux nouvelles technologies, à la vidéo, ou aux jeux en tout genre. A chacun ses goûts et ses plaisirs.
Quand cette disposition intense pour l’art vous frappe, cela peut vite devenir une addiction. On se met à étudier l’art. On organise ses voyages en fonction de musées, d’églises, de fondations à visiter, car les livres et les écrans sont bien, mais la vision réelle des chefs-d’œuvre est incomparablement plus instructive et plus forte. Si l’on veut contempler un ensemble de Mantegna ou de Piero della Francesca, si l’on veut s’immerger dans Klee ou dans Léger, si l’on préfère Munch ou Ensor, on sait quelle direction prendre. Ce goût pour l’art naît, en général, jeune. C’est souvent à partir d’un déclic. Tout simplement une œuvre qui touche et fait basculer dans un monde, celui de la peinture, qui ne vous quitte plus jamais.
| La Femme à la puce (détail), vers 1632-1635, Musée Lorrain, Nancy |
Si, vers douze ou quatorze ans, l’on se rend au Louvre, des tableaux comme ceux de Georges de La Tour peuvent jouer ce rôle de déclencheur – pour ne pas dire de détonateur. La flamme que tient l’enfant, aux côtés de Saint-Joseph charpentier, permet de s’identifier. La lumière sublime les visages et les mains. Georges de La Tour atteint là un état de grâce. Et la grâce que produit la vision de ce tableau ne pourra plus être oubliée. Bienvenue dans le monde de l’art !
Le musée Jacquemart-André présente l’une des expositions majeures de cet automne, à Paris. Elle est consacrée à Georges de La Tour (1593-1652). La dernière remontait à 1997, et se tenait alors au Grand Palais. Une trentaine d’œuvres sont présentées au musée Jacquemart-André et se fondent parfaitement dans les salles intimes du musée. L’écrin ne pouvait être mieux choisi. L’accrochage, mieux fait. Nul besoin d’en savoir beaucoup sur ce peintre lorrain, mort à Lunéville, puisque ses toiles parlent pour lui.
| Le Souffleur à la pipe (détail), 1646, Tokyo Fuji Art Museum |
| Saint-Pierre repentant (détail), 1645, Musée de Cleveland |
De manière générale, en art, la plupart des œuvres figuratives sont constituées d’un sujet principal autour duquel sont disposés des détails. Ces derniers sont parfois anodins – ils pourraient ne pas y être – mais en général ils sont là pour procurer une énergie, indiquer le sens du regard, parfaire la construction de l’ensemble. Ces fragments sont parfois autant de tableaux dans le tableau lui-même. Chez La Tour, ils sont essentiels. Une lanterne posée à même le sol, une bougie allumée que l’on tient à la main, un chien au regard brillant, des chaussures boursouflées par l’usure, la blancheur d’un vêtement sur la pâleur d’un corps, des visages, des mains, des genoux dont on ne sait s’ils sont réels ou bien en cire ou en bois, le dossier d’une chaise cloutée… Le peintre imprègne de son génie chaque centimètre carré de sa toile. C’est, dans le genre, une perfection.
| Job raillé par sa femme (détail), vers 1630, Musée d'Epinal |
| Le Vielleur au chien (détail), vers 1622, Musée du Mont-de-Piété, Bergues |
Dans un monde fait de bruit et de vitesse, chaque œuvre de La Tour capte le regard, suscite la contemplation et requiert le silence. Telle est la leçon reçue par le visiteur. Le trait de génie du peintre est la manière dont il éclaire ses sujets. Une lumière chaude, enveloppante, propice au recueillement. Elle est au service d’une palette assez sobre, faite d’ocre, de gris intense, et surtout d’un rouge écarlate qui irradie la plupart des toiles.
| Le Nouveau-né (détail), vers 1648, Musée des beaux-arts de Rennes |
Bien sûr, il faut voir tout l’œuvre de Georges de La Tour. Il n’y a pas tellement de peintures qui nous restent de cet artiste pour qu’il en soit autrement. Mais au sein de chaque œuvre, l’attention portée à certaines parties des tableaux ajoute une fascination supplémentaire, et rend plus grand encore l’artiste. La lumière qui irradie l’œuvre de Georges de La Tour touchera sans doute au cœur quelques visiteurs novices, au point de les faire entrer dans le monde de l’art. Quant aux visiteurs avertis, ils se diront qu’ils n’auront peut-être plus jamais l’occasion de voir, de ce peintre, un tel ensemble réuni…
Stéphane Rochette
75017 Paris