lundi 11 novembre 2024

Tarsila do Amaral, un côté art naïf, mais pas que...

Le dernier message du blog annonçait la fin de la Galerie SR. 

Rien n’a changé depuis, elle est toujours fermée, et ne rouvrira pas. 

En revanche, pourquoi ne pas continuer le blog, dans lequel il pourrait être question d’art, de littérature, de théâtre… ? 

 

Tarsila do Amaral, Romance, huile sur toile, 1925

 Commencer par l’exposition Tarsila do Amaral, au musée du Luxembourg, nous semble idéal. Souvent, nous avions vu des œuvres de cette artiste dans des expositions de groupe. A chaque fois, elles avaient retenu notre attention et déclenché ces appareils photos cachés dans nos portables. Là, tout est différent puisqu’une exposition dans un musée lui est consacrée. C’est encore mieux. 

 

Tarsila do Amaral, Autoportrait, huile sur carton, 1924

De ces continents lointains, et à une époque donnée, nous connaissions surtout, comme femme peintre, la Mexicaine Frida Kahlo (1907-1954), dont la vie est aussi célèbre que les autoportraits qu’elle nous a laissés. A ses côtés, tout aussi importante sur le plan artistique, et dont l’œuvre est enfin présentée en majesté dans les jardins du Luxembourg, est la Brésilienne Tarsila do Amaral (1886-1973). 

 

Tarsila do Amaral chez elle, à Rio de Janeiro

Née à Capivari, dans l’état de Sao Paulo, l’artiste est issue d’une famille aisée dont la richesse provient de la culture du café. Dès l’âge de dix-sept ans, elle voyage en Europe. Dès l’âge de dix-huit, elle se marie, mais en 1913, elle se sépare de son conjoint, avec qui elle aura eu une fille. En cette même année, elle s’installe à Sao Paulo et trois ans plus tard, à l’âge de trente ans, elle décide de se consacrer à la peinture. 

Tarsila do Amaral, Vue de l'hôtel à Paris, 1920


En 1920, elle se rend à Paris. C’est alors le début d’une longue décennie, passée entre Paris et le Brésil, qui sera essentielle dans son travail d’artiste. A Paris, elle aimera surtout visiter les musées, et suivre l’enseignement de professeurs prestigieux, comme André Lhote, Fernand Léger ou Albert Gleizes. Elle ne restera jamais longtemps à suivre ces enseignements. Avec son nouveau compagnon, l’écrivain Oswald de Andrade, elle fréquente Blaise Cendrars – qu’elle recevra par la suite à Sao Paulo –, Robert et Sonia Delaunay, Brancusi, Braque… Elle achète quelques œuvres à ses professeurs ou à ses amis artistes, constituant là une collection. 

 

Tarsila do Amaral, La poupée, huile sur toile, 1928

En 1926, la galerie Percier, à Paris, organise sa première exposition personnelle. Elle est lancée. A présent, Tarsila – c’est ainsi qu’elle signait ses toiles – est une artiste reconnue par ses pairs et le monde de l’art. D’autres expositions auront lieu, au salon des Surindépendants, mais surtout au Brésil où elle retourne vivre, en 1932, avec son nouveau compagnon, le médecin psychiatre Osorio César.

 

Tarsila do Amaral, Le marché 1, huile sur toile, 1924


Tarsila do Amaral, Religion brésilienne I, huile sur toile, 1927

 Femme engagée, elle est emprisonnée pendant un mois pour avoir effectué un voyage en U.R.S.S. et approuvé le système politique mis en place. Après avoir vécu à Rio, Tarsila s’installe en 1939 à Sao Paulo avec le jeune écrivain Luis Martins avec lequel elle vit depuis six ans. 


Tarsila do Amaral, Carte postale, huile sur toile, 1929

Tarsila do Amaral, Manaca, huile sur toile, 1927

Dans sa peinture, certaines œuvres des années 1930 et 1940 montrent sa fibre sociale, avec la représentation d’ouvriers, de couturières, de personnages du peuple. Mais elle n’est ni Siqueiros, ni Rivera. 

Visiteuse au vernissage de l'exposition Tarsila do Amaral



La peinture de Tarsila, qui fait d’elle une artiste reconnaissable entre tous, s’apparente à un certain art naïf. Les couleurs sont vives et chaudes. La végétation déborde. Les fruits sont gorgés de soleil. Dans certaines toiles, les palmiers ont des troncs infinis surmontés de rares palmes formant comme des plumeaux. Les animaux, souvent cocasses, pourraient inspirer des dessins animés. Les compositions florales préfigurent Ivan Rabuzin. La vie quotidienne des campagnes, des villes, des ports est magnifiée. Une certaine langueur fige le temps qui passe. Cette peinture ne manque ni de générosité ni d’humour. Elle plonge dans un monde merveilleux, mais l’artiste sait que cette douceur représentée est aussi une illusion, car la réalité sociale de son pays n’est pas tendre pour une grande partie de la population. Après avoir trouvé son style, qu’elle déploiera tout au long des années 1920, elle retrouvera cette veine, avec succès, dans les années 1950. 

 

Tarsila do Amaral, Village avec pont et papayer, huile sur toile, 1953

Tarsila do Amaral, Port I, huile sur toile, 1953


Tarsila do Amaral, Passage à niveau III, huile sur toile, 1965

Pour comprendre l’art de Tarsila do Amaral, l’exposition du musée du Luxembourg est une voie royale. Pourtant, une autre possibilité s’offre à tout amateur curieux de découvrir cette artiste, celui d’acquérir le catalogue – textes et reproductions remarquables – établi par la commissaire de l’exposition, Cecilia Braschi. Le rose de la couverture produit son plus bel effet. Même si Tarsila ne voyait pas la vie qu’en rose… 
 
 
 

 

vendredi 12 juillet 2024

Galerie SR, 1994-2024 : Toute une époque !

 

Stéphane Rochette devant la Galerie SR, 1995

Il fallait bien que cela arrive un jour. Au 16, rue de Tocqueville, à Paris, et après trente ans d’activité, la Galerie SR vient de baisser définitivement le rideau. Dommage. Sa cour n’aura jamais été aussi fleurie. Avant elle, et depuis la création de l’immeuble, à la fin du XIXe siècle, ce fut une succession de blanchisseries. Après elle, une autre aventure naîtra.

Inaugurée en mai 1994, la Galerie SR a fermé le 30 juin 2024. Trente années d’activité, mais surtout de bonheur, qui passèrent à toute allure. 

 

 

Galerie SR, côté cour




 

Ce ne fut sans doute pas une galerie tout à fait comme les autres, mais après tout chaque galeriste donne une inflexion propre à son travail, confère un style à son lieu d’exposition.

Chaque galeriste a ses goûts et fait des choix. Ce qui aura caractérisé, et peut-être différencié la Galerie SR des autres, ce fut le soin d’y mélanger les arts et les lettres. On exposait Rey-Millet, mais on travaillait sur ses écrits et l’on demandait à Balthus une préface et à Jean-Marie Dunoyer un texte pour un catalogue. On accompagnait Pierre-André Benoit à l’inauguration de son musée, où l’on retrouvait Alechinsky et Guitet. On tentait de trouver un illustrateur à Georges Borgeaud pour la couverture de l’un de ses Mille Feuilles. On présentait Claire-Lise Monnier, mais on publiait ses contes et nouvelles. On participait au Bulletin des Amis de Ramuz pour faire se croiser l’auteur suisse avec ses amis peintres et écrivains. On tentait de faire connaître le graveur Jos Jullien, tout en publiant une partie de sa correspondance. On participait au dictionnaire des peintres ardéchois, nommé Peindre l’Ardèche, peindre en Ardèche, pour évoquer des artistes célèbres, comme Albert Gleizes, ou moins connus, tel René Rochette. On demandait des textes inédits au merveilleux Jacques Doucet, ce poète du Berry et de La Baule, que nous visitions en sa « Clairière » bauloise. On éditait un essai biographique sur Paul Signac, en l’accompagnant de la publication de ses dernières réflexions sur l’art, mûries quelques jours avant sa mort. On demandait à Jean Piaubert ses souvenirs d’enfance, et il nous lisait peu après Quand j’étais petit… On faisait paraître, avec l’éditeur et photographe Bruno Wagner, un livre d’art sur Oscar Chelimsky, mais on incluait ses souvenirs sur Brancusi, son voisin d’atelier de l’impasse Ronsin. On présentait à l’occasion, telle une relique, cette gouache d’Henri-Dante Alberti – œuvre qui avait changé notre vie –, ce même Alberti que Picasso surnommait le « Petit Poète ». Bien d’autres exemples pourraient s’ajouter ici. 

 

 

 

Ce qui marque une vie de galeriste, est-ce la vente d’un tableau ou bien la rencontre avec un peintre, un poète, un écrivain ? La vente d’une œuvre permet de durer. On ne tient pas un commerce pendant très longtemps sans de régulières rentrées d’argent. Elles furent rarement abondantes, mais toujours suffisantes pour vivre. Pourtant, ce sont les rencontres qui comptèrent en premier, et de nombreux visiteurs venus à la galerie, célèbres ou non, restent gravés en mémoire. 

 

 

Galerie SR, 16, rue de Tocqueville, Paris

 

La galerie était centrée sur l’art moderne. Elle a cependant exposé quelques artistes contemporains comme Sajtinac, Alex Barbier, Georges Bru, Jacques Muron, Bruno Wagner. Chacune de ces rencontres fut un plaisir et un enrichissement – au moins moral !

La fête est donc finie. Elle fut belle. Nous n’ouvrirons plus la vieille malle en cuir pour en extraire une bouteille de whisky ou de porto que l’on partage avec un client de passage ou avec des amis. Dans la cour, nous ne ramasserons plus les marrons tombés de l’un des grands arbres de l’immeuble voisin. Nous ne verrons plus le merle, la rare bergeronnette ou les moineaux. Nous ne sauverons plus l’olivier croulant sous le poids de la neige. Nous n’entendrons plus résonner les accords du pianiste qui accompagne le cours de danse, ni les instructions de la professeure : Et un, et deux, et trois et quatre…

Les photographies sont là pour montrer le temps qui passe. Entre 34 et 64 ans, l’allure peut rester un peu semblable, mais les visages changent, les forces s’amenuisent, l’esprit est moins vif. A quoi bon s’inquiéter des choses inéluctables.

Il ne faut pas s’inquiéter non plus de ce qui arrivera demain. Même si les « belles années » sont finies, le futur aura son charme, à condition de regarder devant, sans nostalgie pour le passé. Ce qui est fait est fait, à quoi bon y revenir. Arrangeons juste le col de notre chemise, retroussons nos manches et scrutons l’horizon, qui nous dit… 

 

 

Dans la Galerie SR, 2024   


Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com

 

jeudi 9 mai 2024

Bonds et rebonds de Jean Hélion au Musée d'Art moderne de Paris

 

Une exposition, au titre emprunté (et un peu prétentieux pour la circonstance), « Jean Hélion, la Prose du monde », se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. 

 

 

Affiche de l'exposition Hélion devant le Musée d'art moderne de Paris

 

 

Jean Hélion


Entrée de l'exposition Jean Hélion


Tout se joue, en réalité, au tiers de cette exposition.

Au milieu d’une salle, de part et d’autre d’un panneau, sont exposées deux grandes œuvres de l’artiste. L’une est intitulée Au cycliste, l’autre Figure tombée. Elles ont un point commun, leur année de création : 1939. Hormis cela, l’une est abstraite, l’autre figurative et il est difficile de faire deux toiles plus dissemblables. Tel est le mystère Jean Hélion, à moins qu’il ne s’agisse d’un don d’ubiquité, qui aurait peu d’équivalents en art. En voyant tour à tour ces peintures, on adhère à ce choix de présentation. Placées côte à côte, elles n’auraient pas paru crédibles, ou se seraient dévorées l’une l’autre. 

 

 

Jean Hélion, Figure tombée, 1939, Centre Pompidou, Paris

 

Jean Hélion, Au cycliste, 1939, Centre Pompidou, Paris

Jean Hélion (1904-1987) bénéficia d’une rétrospective au Centre Pompidou en 2004-2005. Vingt ans plus tard, le Musée d’art moderne de la ville de Paris le célèbre également. On se souvient aussi de l’exposition Hélion, la figure tombée proposée par le musée Unterlinden, à Colmar, en 1995. Hélion fait donc partie de ces rares artistes exposés dans les plus grandes institutions françaises de manière régulière. Pour qui s’intéresse à l’art, ne pas connaître son travail serait impossible. Il est aussi l’auteur d’une œuvre abondante – dessins, aquarelles, peintures – ce qui facilite cette multiplication d’accrochages, sans lasser le visiteur. 

 

Jean Hélion, Homme assis, 1928, Galerie Alain Margaron

 

A Paris, l’exposition est chronologique. Elle commence par des travaux figuratifs, dont un Homme assis (1928), sobre dans sa composition et dans ses teintes, mais doué d’une forte puissance, à l’image de l’homme représenté. Il est dommage que le volumineux et assez remarquable catalogue de l’exposition ait eu quelques « ratés » dans la reproduction d’œuvres, dont cette toile de grande dimension.

Puis, dès 1929, l’abstraction accapare l’artiste. Il en sera ainsi pendant dix ans. Dans des toiles provenant des musées de Lodz, du Centre Pompidou, du musée Cantini à Marseille ou encore du musée de Grenoble, un rigorisme, fait de lignes verticales et horizontales, qui regarde vers Mondrian, suivi d’une recherche de courbes et de cylindres dans l’espace, se succèdent. La palette est heureuse, plutôt vive et joyeuse. 

 

Jean Hélion, Composition orthogonale, 1929-1930, col. part.


 

Jean Hélion, Composition, 1930, Musée d'Art, Lodz

 

 

Jean Hélion, Composition verticale, Musée Cantini, Marseille

 

1939 est l’autre année de bascule avec le retour à la figuration. En 1943, L’homme à la face rouge serait sans doute, dans cette œuvre faite de revirements, ce qui caractérise le plus l’artiste. Comme un totem. Cet homme au chapeau, peint en noir et blanc, avec juste l’ovale du visage orange, et qui dévisage le visiteur, impressionne. 

 

 

Jean Hélion, Homme à la face rouge, 1943, col. part.

 

 

Des personnages allongés, des hommes qui lisent le journal, des choux et des citrouilles décortiqués, des mannequins de vitrines, un autoportrait au crayon où l’artiste se représente traits tirés, mine lasse, la poésie des toits de Paris, des marronniers dans un square, les thèmes ne manquent pas dans l’œuvre de Jean Hélion. Par-delà cette diversité, on reconnaît l’artiste d’emblée. 

 

 

Revue View, Mai 1946, dessin de couverture Jean Hélion


Jean Hélion, Homme couché, 1950, collection Jacqueline Hélion

 

Il faut ajouter les sujets tirés du métro et des fleuristes, comme dans cette aquarelle de la Galerie SR, de 1967, La marchande de fleurs devant l’entrée du métro où l’on peut voir, dans le fond, le capot d’une DS. C’était l’époque. Dans l’exposition du Musée d’art moderne, La Voiture de fleurs et le boucher (1964), et Métro (1969), font écho à l’aquarelle de la galerie. 

 

Jean Hélion, La voiture de fleurs et le boucher, 1964, Musée d'Art moderne de Paris


Jean Hélion, La marchande de fleurs devant l'entrée du métro, 1967, Galerie SR


Jean Hélion, Métro, 1969, Musée d'Art moderne de Paris

Dans toute œuvre, il est conseillé de soigner, dit-on, son introduction et sa conclusion. Malheureusement, l’ultime salle de l’exposition, qui présente les dernières années de l’artiste, devenu malvoyant – à partir de 1983, il ne pourra plus peindre – sont un peu pénibles. Les thèmes sont toujours là, mais comme repris mécaniquement, sans plus vraiment d’inspiration, et moins bien traités.

Dans Le Tabor et le Sinaï (Editions Belfond, 1988), Michel Tournier a ainsi évoqué l’art de Jean Hélion : « Cette peinture n’est figurative qu’en apparence, en fait c’est davantage une peinture de figuration. Tous ces objets, tous ces personnages sont des figurants, des doublures qui doutent et font douter de leur identité. » C’est juste. Cela expliquerait-il le fait que l’on peut se sentir extérieur à cet art ? Comme si l’artiste ne voulait pas nous faire entrer totalement dans son monde qu’il aurait souhaité – par orgueil ? – garder pour lui.

René Char, André du Bouchet ou Francis Ponge admirèrent l’œuvre de leur ami Jean Hélion. Gloire aux poètes ! Et même si l’on n’entre pas toujours dans cette œuvre, ou qu’elle ne nous touche pas en profondeur, il faut saluer l’art de Jean Hélion qui sut bondir et rebondir à une époque où la peinture était divisée entre abstraits et figuratifs – deux camps qu’Hélion explora sans préjugés, et qu’il marqua de son empreinte. 

 

 

 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com



 

lundi 8 avril 2024

Retour sur Chelimsky avec l'exposition Brancusi au Centre Pompidou

 

Est-il plus facile d’organiser une exposition quand on a tout sous la main ? Sans doute, même si la beauté d’un ensemble tient aussi à la multiplicité des sources, c’est-à-dire des collections publiques et privées. 

 

Catalogue Brancusi, Librairie du Centre Pompidou, 2024

 

 

Pour l’exposition Brancusi, qui se tient au Centre Pompidou, les organisateurs n’ont eu qu’à puiser dans leurs réserves, puisque 90 % des œuvres présentées proviennent des collections du musée, grâce au legs fait par l’artiste en 1957. On se souvient que naguère se trouvait sur l’esplanade du même Centre un vaste espace Brancusi dans lequel l’atelier du sculpteur était plus ou moins reconstitué. Cela avait duré quelques années avant la suppression du lieu, et le retour des œuvres dans les collections – et les réserves – du Centre. Il n’y a donc que ce musée qui, au monde, peut aussi bien montrer l’œuvre du sculpteur peut-être le plus important de son temps, mais encore faut-il ne pas céder à la facilité pour souligner la richesse et l’inventivité de l’artiste roumain. C’est ce que l’on constate en visitant l’exposition Brancusi, qui est en tous points une réussite. 

 

 

Brancusi, Le Crocodile, bois sur poutre en bois, 1924, Centre Pompidou



Brancusi, L'oiselet, plâtre sur socle-poutre en bois, 1928, Centre Pompidou


 

Toutes les pièces qui ont fait la réputation – parfois sulfureuse – du sculpteur sont présentées, la plupart en différents exemplaires et diverses matières : bois, plâtre, pierre, marbre, bronze. Chacune de ces séries montre à quel point l’artiste s’est défait des influences qui auraient pu le détourner de son travail de créateur pour n’être qu’un médiocre suiveur. Par sa connaissance de l’art, il savait que Rodin était alors le maître absolu, mais il savait encore davantage qu’en étant son élève il courait le risque de ne pas développer son monde à lui. En art, rien n’est pire que la copie. Alors, exit Rodin. Après la Roumanie, et après avoir marché jusqu’à Paris pour finalement atterrir dans cette impasse Ronsin qu’il chérit tant, il s’empara de la matière pour la simplifier, lui donner une épure qui n’avait jamais été si parlante jusque-là. Naquirent ainsi des coqs, des oiseaux, des phoques, des torses, des baisers, des visages d’adultes ou d’enfants qui révolutionnèrent l’art. 

 

 

Brancusi, Bête nocturne, bois sur socle en plâtre, vers 1930, Centre Pompidou

 

Brancusi, Phoque (marbre), 1943 et Phoque (vers 1943-1946), Centre Pompidou

 

 

L’exposition s’accompagne de dessins de Brancusi. Chaque projet, plus ou moins monumental, commence souvent par quelques traits au crayon sur une feuille de papier. De nombreux documents – photographies, films, correspondances, livres, catalogues – accompagnent le visiteur. D’Apollinaire à Morand, de Tzara à Modigliani, de Satie à Duchamp, de Man Ray à Léger, les liens avec les peintres et les écrivains sont mis en avant. Sans oublier les mécènes et leurs commandes. 

 

Livre sur Oscar Chelimsky, Librairie du Centre Pompidou, 2024

 

 

Constantin Brancusi naît en 1876 en Roumanie. Il meurt à Paris en 1957. Pourtant, les derniers travaux exposés de l’artiste sont datés 1945. Rien des douze dernières années. C’est précisément au cours de ces dernières années, à partir de 1948, que le peintre américain Oscar Chelimsky, dont nous avons présenté récemment l’ouvrage qui lui est consacré, est devenu le voisin et l’ami de Brancusi, impasse Ronsin. Dans Oscar Chelimsky, de Paris à Saint-Maurice-d’Ibie (Walkyrie Editions), que l’on trouve à la librairie du Centre Pompidou, on peut lire le témoignage, inédit en France, du jeune américain sur son aîné. En voici les premières lignes :

« Ce fut par le plus pur des hasards que j’ai rencontré Brancusi la première fois. C’était un dimanche après-midi au début de l’automne 1948, ma femme et moi nous nous promenions dans Paris. Nous y étions depuis peu, et je cherchais un atelier. A l’intersection de la rue de Vaugirard et de l’impasse Ronsin, j’ai remarqué́ ce qui semblait être un bâtiment d’usine de trois étages, dont les murs étaient constitués de grands panneaux de verre translucide. Je m’informai auprès de la concierge et celle-ci me dit qu’il n’y avait rien de disponible mais qu’un peu plus bas habitait un sculpteur très gentil qui, pensait-elle, pourrait certainement m’aider. Elle inscrivit le nom de « Brankusi » sur un bout de papier et, quelque peu étonné, je descendis jusqu’à son atelier. »

 

Impasse Ronsin, angle avec la rue de Vaugirard

 

Vue sur Paris, terrasse du Centre Pompidou, avril 2024

En Amérique, il n’y a pas d’impasse, remarquait Brancusi de retour d’un voyage aux Etats-Unis. A Paris, en revanche, il y en a beaucoup. Chaque arrondissement, chaque quartier contient de ces lieux un peu mystérieux, un peu secrets, où l’on n’ose guère parfois s’aventurer. Souvent, les artistes s’y sont engouffrés pour y créer à l’abri des regards, et vivre en dehors de l’agitation de la ville. Comme autant de mondes dans lesquels la vie se passe en vase-clos. Excellent pour ces solitaires, que sont en général les artistes. Dans cette impasse Ronsin du XVe arrondissement de Paris, Brancusi avait trouvé l’endroit qui lui convenait pour vivre, travailler, recevoir ses amis, participer à des fêtes, sans avoir à se confronter aux importuns, mais aussi à l’agitation de la grande ville. Il n’était pourtant pas seul dans cette impasse, car entouré d’autres artistes qui avaient fait le même choix que lui pour peindre, dessiner, sculpter. Parmi ces nombreux occupants de l’impasse, certains devinrent mondialement célèbres. Pourtant il suffit de prononcer ces deux mots « impasse Ronsin » pour qu’aussitôt un seul nom s’en vienne à l’esprit ou sur les lèvres, un nom en trois syllabes qui claquent au sommet d’une certaine colonne sans fin : Brancusi. 

 


 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com