dimanche 8 juin 2025

Maximilien Luce retrouve la rue Cortot au musée de Montmartre


  

Musée de Montmartre, rue Cortot, à Paris

Le mouvement néo-impressionniste – ou divisionniste – compte un chef de file incontesté nommé Georges Seurat. Ses dessins et ses peintures le placent au sommet de l’art. Seurat, mort à l’âge de trente-et-un ans, eut un dauphin, incontestable lui aussi, Paul Signac. Derrière ces deux « piliers », un grand nombre d’artistes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ont utilisé la touche divisionniste pour en constituer le mouvement : Henri-Edmond Cross, Théo Van Rysselberghe, Edmond Petitjean, Georges Lemmen, Willy Finch, Lucie Cousturier, Charles Angrand, Jeanne Selmersheim-Desgranges, Albert Dubois-Pillet… Le musée de Montmartre a la bonne idée de rendre hommage à l’un de ces peintres, attiré, un temps, par la technique de la touche juxtaposée : Maximilien Luce (1858-1941). L’idée n’était-elle pas, au fond, évidente ? Où se trouve, en effet, le musée de Montmartre ? Rue Cortot. Or, parmi les nombreux artistes qui vécurent dans cette pentue artère parisienne – Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Renoir, Raoul Dufy, etc. – on compte Luce, d’abord au 6, puis au 16, de la rue Cortot, et ce, pendant treize ans, de 1887 à 1900. Grâce au musée de Montmartre, situé au 12, rue Cortot, Maximilien Luce retrouve donc « sa » rue. 

 

Musée de Montmartre, salon de thé dans le jardin

 

Tout comme au théâtre, une exposition doit réussir son entrée. Les commissaires de l’exposition, Jeanne Paquet et Alice S. Legé, ont particulièrement soigné celle-ci. L’accueil se fait par une galerie de petits portraits, peints ou dessinés par Luce, et qui représentent certains de ses amis : Seurat, Signac, Cross, Pissarro, Jules Antoine et Georges Tardif. Un ensemble chaleureux. Chacun de ces visages raconte une époque, et situe son auteur. 

 

Musée de Montmartre, exposition Maximilien Luce


 

Paul Signac, Maximilien Luce lisant La Révolte, 1890   

Maximilien Luce, Vue du 48 rue Lepic, chez Georges Tardif, 1894-1895, coll. Calvé-Cantinotti

Maximilien Luce, Etude pour le portrait d'H-E Cross, vers 1898, coll. part. 


L’exposition – à visée rétrospective – est présentée de manière chronologique. Chaque période permet de voir l’étendue de ce travail, aux thèmes variés. A Paris, ce sont tantôt les quais de la Seine et ses monuments qui attirent le peintre – avec les vibrations de l’air et de l’eau –, tantôt les chantiers et leurs ouvriers, qui démolissent un jour la ville avant de la reconstruire le lendemain. La nature et les scènes de genre, tout autour de Paris, sont aussi une délectation pour l’artiste qui, dans ses toiles, en restitue les charmes et les douceurs. 

 

Maximilien Luce, L'église Saint-Gervais, vue de la Seine, coll. part. 

 
Maximilien Luce, Les batteurs de pieux (détail), 1903, musée d'Orsay

Luce peignit également dans beaucoup d’endroits en France, du Nord au Sud, avec notamment quelques vues célèbres de Saint-Tropez, lieu que son ami Signac lui avait fait découvrir, et dont il sut restituer l’intense lumière. Celle-ci s’assombrit lorsqu’il s’en vint à Londres, au bord de la Tamise, ou du côté des hauts-fourneaux, en Belgique. Enfin, l’exposition montre bien l’anarchiste qu’était Luce. Il n’était jamais autant en accord avec lui-même que lorsqu’il représentait, et glorifiait, sous ses pinceaux, mineurs, ouvriers, débardeurs, dockers, terrassiers, bâtisseurs… autant d’hommes « exploités » par d’autres hommes, et qu’il fut l’un des rares à montrer de manière aussi puissante et constante. C’est d’ailleurs fort justement qu’Adolphe Tabarant écrivit dans sa monographie consacrée au peintre, en 1928 : Maximilien Luce, artiste social entre tous (Les Editions G. Crès & Cie, Paris). 

 

Maximilien Luce, Saint-Tropez, la route du cimetière, 1892, coll. part. 


Maximilien Luce, Le port de Saint-Tropez, 1893, coll. part. 

 

Si Maximilien Luce exposa dans diverses galeries à Paris, s’il participa au salon des XX, à Bruxelles, en 1889, c’est quand même au Salon des Indépendants qu’il fut le plus attaché, et le plus fidèle. Dès 1887, il y expose chaque année. En 1909, il en devient le vice-président, et en 1934 le président – jusqu’en 1940 –, succédant à son ami Paul Signac.

En 1917, Maximilien Luce découvrit un village, situé à une soixantaine de kilomètres au Nord-Ouest de Paris : Rolleboise. Il s’y attacha d’emblée, avant d’y acquérir une maison cinq ans plus tard. Dès lors, il partagea sa vie entre Paris et ce village. Dans son ouvrage sur Luce, Adolphe Tabarant évoque ce changement dans la vie du peintre : « Il est à Paris, soit à son logis de la rue de Seine, soit à son atelier d’Auteuil, qu’il occupe depuis qu’il quitta, en 1900, celui de Montmartre. Mais, vienne le soleil, vivement il file à Rolleboise, où il a sa petite maison à lui, maison de paysan au pied de l’église du village qui, juchée sur le coteau, domine toute la vallée de la Seine, écrit dans le Triptyque (mai 1927) un descripteur au coloris joliment animé, dont la plume vaut le crayon, le dessinateur et peintre Jean Texcier. »  A Rolleboise, et dans les environs, Luce multiplia les paysages ainsi que des représentations de la vie quotidienne, dont des scènes de baignade dans le Petit Bras de la Seine. L’artiste montre alors ces moments simples où la vie se fait tour à tour légère, insouciante et heureuse. En quelques mots, Gustave Geffroy résuma bien la double inspiration de l’artiste : « Il eut à la fois le sens de la pauvreté des chambres ouvrières, et l’amour des espaces fleuris de lumière. » 

 

Maximilien Luce, Hauts Fourneaux à Charleroi, 1896, Musée des beaux-arts, Charleroi

Il n’existe pas de musée Seurat. Il n’existe pas de musée Signac. En revanche, il existe un musée Luce, à Mantes-la-Jolie, près de Rolleboise. On le doit au fils de l’artiste, Frédéric, né en 1896, et qui légua en 1971 à la commune des Yvelines un très grand nombre d’œuvres de son père. Si les donations faites dans des musées ne sont pas toujours heureuses, si certains donateurs ont des exigences, doublées de prétentions, impossibles à réaliser, cette donation Luce, qui permet de suivre les diverses époques du peintre, parfois dans de grands formats, est une vraie réussite. La donation, contenue dans le Musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie, est remarquablement présentée. Alors, si par malchance l’amateur d’art n’a pas l’occasion de rendre visite à Maximilien Luce, en cet été 2025, au musée de Montmartre, une session de rattrapage s’offre à lui. Depuis Paris Saint-Lazare, grâce au TER, et en trente-cinq minutes, le musée de Mantes-la-Jolie lui ouvre grand ses portes. 

 

Maximilien Luce, Méricourt, la plage (détail), 1930, Musée de l'Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie 

 

galerie.sr@gmail.com

lundi 11 novembre 2024

Tarsila do Amaral, un côté art naïf, mais pas que...

Le dernier message du blog annonçait la fin de la Galerie SR. 

Rien n’a changé depuis, elle est toujours fermée, et ne rouvrira pas. 

En revanche, pourquoi ne pas continuer le blog, dans lequel il pourrait être question d’art, de littérature, de théâtre… ? 

 

Tarsila do Amaral, Romance, huile sur toile, 1925

 Commencer par l’exposition Tarsila do Amaral, au musée du Luxembourg, nous semble idéal. Souvent, nous avions vu des œuvres de cette artiste dans des expositions de groupe. A chaque fois, elles avaient retenu notre attention et déclenché ces appareils photos cachés dans nos portables. Là, tout est différent puisqu’une exposition dans un musée lui est consacrée. C’est encore mieux. 

 

Tarsila do Amaral, Autoportrait, huile sur carton, 1924

De ces continents lointains, et à une époque donnée, nous connaissions surtout, comme femme peintre, la Mexicaine Frida Kahlo (1907-1954), dont la vie est aussi célèbre que les autoportraits qu’elle nous a laissés. A ses côtés, tout aussi importante sur le plan artistique, et dont l’œuvre est enfin présentée en majesté dans les jardins du Luxembourg, est la Brésilienne Tarsila do Amaral (1886-1973). 

 

Tarsila do Amaral chez elle, à Rio de Janeiro

Née à Capivari, dans l’état de Sao Paulo, l’artiste est issue d’une famille aisée dont la richesse provient de la culture du café. Dès l’âge de dix-sept ans, elle voyage en Europe. Dès l’âge de dix-huit, elle se marie, mais en 1913, elle se sépare de son conjoint, avec qui elle aura eu une fille. En cette même année, elle s’installe à Sao Paulo et trois ans plus tard, à l’âge de trente ans, elle décide de se consacrer à la peinture. 

Tarsila do Amaral, Vue de l'hôtel à Paris, 1920


En 1920, elle se rend à Paris. C’est alors le début d’une longue décennie, passée entre Paris et le Brésil, qui sera essentielle dans son travail d’artiste. A Paris, elle aimera surtout visiter les musées, et suivre l’enseignement de professeurs prestigieux, comme André Lhote, Fernand Léger ou Albert Gleizes. Elle ne restera jamais longtemps à suivre ces enseignements. Avec son nouveau compagnon, l’écrivain Oswald de Andrade, elle fréquente Blaise Cendrars – qu’elle recevra par la suite à Sao Paulo –, Robert et Sonia Delaunay, Brancusi, Braque… Elle achète quelques œuvres à ses professeurs ou à ses amis artistes, constituant là une collection. 

 

Tarsila do Amaral, La poupée, huile sur toile, 1928

En 1926, la galerie Percier, à Paris, organise sa première exposition personnelle. Elle est lancée. A présent, Tarsila – c’est ainsi qu’elle signait ses toiles – est une artiste reconnue par ses pairs et le monde de l’art. D’autres expositions auront lieu, au salon des Surindépendants, mais surtout au Brésil où elle retourne vivre, en 1932, avec son nouveau compagnon, le médecin psychiatre Osorio César.

 

Tarsila do Amaral, Le marché 1, huile sur toile, 1924


Tarsila do Amaral, Religion brésilienne I, huile sur toile, 1927

 Femme engagée, elle est emprisonnée pendant un mois pour avoir effectué un voyage en U.R.S.S. et approuvé le système politique mis en place. Après avoir vécu à Rio, Tarsila s’installe en 1939 à Sao Paulo avec le jeune écrivain Luis Martins avec lequel elle vit depuis six ans. 


Tarsila do Amaral, Carte postale, huile sur toile, 1929

Tarsila do Amaral, Manaca, huile sur toile, 1927

Dans sa peinture, certaines œuvres des années 1930 et 1940 montrent sa fibre sociale, avec la représentation d’ouvriers, de couturières, de personnages du peuple. Mais elle n’est ni Siqueiros, ni Rivera. 

Visiteuse au vernissage de l'exposition Tarsila do Amaral



La peinture de Tarsila, qui fait d’elle une artiste reconnaissable entre tous, s’apparente à un certain art naïf. Les couleurs sont vives et chaudes. La végétation déborde. Les fruits sont gorgés de soleil. Dans certaines toiles, les palmiers ont des troncs infinis surmontés de rares palmes formant comme des plumeaux. Les animaux, souvent cocasses, pourraient inspirer des dessins animés. Les compositions florales préfigurent Ivan Rabuzin. La vie quotidienne des campagnes, des villes, des ports est magnifiée. Une certaine langueur fige le temps qui passe. Cette peinture ne manque ni de générosité ni d’humour. Elle plonge dans un monde merveilleux, mais l’artiste sait que cette douceur représentée est aussi une illusion, car la réalité sociale de son pays n’est pas tendre pour une grande partie de la population. Après avoir trouvé son style, qu’elle déploiera tout au long des années 1920, elle retrouvera cette veine, avec succès, dans les années 1950. 

 

Tarsila do Amaral, Village avec pont et papayer, huile sur toile, 1953

Tarsila do Amaral, Port I, huile sur toile, 1953


Tarsila do Amaral, Passage à niveau III, huile sur toile, 1965

Pour comprendre l’art de Tarsila do Amaral, l’exposition du musée du Luxembourg est une voie royale. Pourtant, une autre possibilité s’offre à tout amateur curieux de découvrir cette artiste, celui d’acquérir le catalogue – textes et reproductions remarquables – établi par la commissaire de l’exposition, Cecilia Braschi. Le rose de la couverture produit son plus bel effet. Même si Tarsila ne voyait pas la vie qu’en rose… 
 
 
 

 

vendredi 12 juillet 2024

Galerie SR, 1994-2024 : Toute une époque !

 

Stéphane Rochette devant la Galerie SR, 1995

Il fallait bien que cela arrive un jour. Au 16, rue de Tocqueville, à Paris, et après trente ans d’activité, la Galerie SR vient de baisser définitivement le rideau. Dommage. Sa cour n’aura jamais été aussi fleurie. Avant elle, et depuis la création de l’immeuble, à la fin du XIXe siècle, ce fut une succession de blanchisseries. Après elle, une autre aventure naîtra.

Inaugurée en mai 1994, la Galerie SR a fermé le 30 juin 2024. Trente années d’activité, mais surtout de bonheur, qui passèrent à toute allure. 

 

 

Galerie SR, côté cour




 

Ce ne fut sans doute pas une galerie tout à fait comme les autres, mais après tout chaque galeriste donne une inflexion propre à son travail, confère un style à son lieu d’exposition.

Chaque galeriste a ses goûts et fait des choix. Ce qui aura caractérisé, et peut-être différencié la Galerie SR des autres, ce fut le soin d’y mélanger les arts et les lettres. On exposait Rey-Millet, mais on travaillait sur ses écrits et l’on demandait à Balthus une préface et à Jean-Marie Dunoyer un texte pour un catalogue. On accompagnait Pierre-André Benoit à l’inauguration de son musée, où l’on retrouvait Alechinsky et Guitet. On tentait de trouver un illustrateur à Georges Borgeaud pour la couverture de l’un de ses Mille Feuilles. On présentait Claire-Lise Monnier, mais on publiait ses contes et nouvelles. On participait au Bulletin des Amis de Ramuz pour faire se croiser l’auteur suisse avec ses amis peintres et écrivains. On tentait de faire connaître le graveur Jos Jullien, tout en publiant une partie de sa correspondance. On participait au dictionnaire des peintres ardéchois, nommé Peindre l’Ardèche, peindre en Ardèche, pour évoquer des artistes célèbres, comme Albert Gleizes, ou moins connus, tel René Rochette. On demandait des textes inédits au merveilleux Jacques Doucet, ce poète du Berry et de La Baule, que nous visitions en sa « Clairière » bauloise. On éditait un essai biographique sur Paul Signac, en l’accompagnant de la publication de ses dernières réflexions sur l’art, mûries quelques jours avant sa mort. On demandait à Jean Piaubert ses souvenirs d’enfance, et il nous lisait peu après Quand j’étais petit… On faisait paraître, avec l’éditeur et photographe Bruno Wagner, un livre d’art sur Oscar Chelimsky, mais on incluait ses souvenirs sur Brancusi, son voisin d’atelier de l’impasse Ronsin. On présentait à l’occasion, telle une relique, cette gouache d’Henri-Dante Alberti – œuvre qui avait changé notre vie –, ce même Alberti que Picasso surnommait le « Petit Poète ». Bien d’autres exemples pourraient s’ajouter ici. 

 

 

 

Ce qui marque une vie de galeriste, est-ce la vente d’un tableau ou bien la rencontre avec un peintre, un poète, un écrivain ? La vente d’une œuvre permet de durer. On ne tient pas un commerce pendant très longtemps sans de régulières rentrées d’argent. Elles furent rarement abondantes, mais toujours suffisantes pour vivre. Pourtant, ce sont les rencontres qui comptèrent en premier, et de nombreux visiteurs venus à la galerie, célèbres ou non, restent gravés en mémoire. 

 

 

Galerie SR, 16, rue de Tocqueville, Paris

 

La galerie était centrée sur l’art moderne. Elle a cependant exposé quelques artistes contemporains comme Sajtinac, Alex Barbier, Georges Bru, Jacques Muron, Bruno Wagner. Chacune de ces rencontres fut un plaisir et un enrichissement – au moins moral !

La fête est donc finie. Elle fut belle. Nous n’ouvrirons plus la vieille malle en cuir pour en extraire une bouteille de whisky ou de porto que l’on partage avec un client de passage ou avec des amis. Dans la cour, nous ne ramasserons plus les marrons tombés de l’un des grands arbres de l’immeuble voisin. Nous ne verrons plus le merle, la rare bergeronnette ou les moineaux. Nous ne sauverons plus l’olivier croulant sous le poids de la neige. Nous n’entendrons plus résonner les accords du pianiste qui accompagne le cours de danse, ni les instructions de la professeure : Et un, et deux, et trois et quatre…

Les photographies sont là pour montrer le temps qui passe. Entre 34 et 64 ans, l’allure peut rester un peu semblable, mais les visages changent, les forces s’amenuisent, l’esprit est moins vif. A quoi bon s’inquiéter des choses inéluctables.

Il ne faut pas s’inquiéter non plus de ce qui arrivera demain. Même si les « belles années » sont finies, le futur aura son charme, à condition de regarder devant, sans nostalgie pour le passé. Ce qui est fait est fait, à quoi bon y revenir. Arrangeons juste le col de notre chemise, retroussons nos manches et scrutons l’horizon, qui nous dit… 

 

 

Dans la Galerie SR, 2024   


Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com

 

jeudi 9 mai 2024

Bonds et rebonds de Jean Hélion au Musée d'Art moderne de Paris

 

Une exposition, au titre emprunté (et un peu prétentieux pour la circonstance), « Jean Hélion, la Prose du monde », se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. 

 

 

Affiche de l'exposition Hélion devant le Musée d'art moderne de Paris

 

 

Jean Hélion


Entrée de l'exposition Jean Hélion


Tout se joue, en réalité, au tiers de cette exposition.

Au milieu d’une salle, de part et d’autre d’un panneau, sont exposées deux grandes œuvres de l’artiste. L’une est intitulée Au cycliste, l’autre Figure tombée. Elles ont un point commun, leur année de création : 1939. Hormis cela, l’une est abstraite, l’autre figurative et il est difficile de faire deux toiles plus dissemblables. Tel est le mystère Jean Hélion, à moins qu’il ne s’agisse d’un don d’ubiquité, qui aurait peu d’équivalents en art. En voyant tour à tour ces peintures, on adhère à ce choix de présentation. Placées côte à côte, elles n’auraient pas paru crédibles, ou se seraient dévorées l’une l’autre. 

 

 

Jean Hélion, Figure tombée, 1939, Centre Pompidou, Paris

 

Jean Hélion, Au cycliste, 1939, Centre Pompidou, Paris

Jean Hélion (1904-1987) bénéficia d’une rétrospective au Centre Pompidou en 2004-2005. Vingt ans plus tard, le Musée d’art moderne de la ville de Paris le célèbre également. On se souvient aussi de l’exposition Hélion, la figure tombée proposée par le musée Unterlinden, à Colmar, en 1995. Hélion fait donc partie de ces rares artistes exposés dans les plus grandes institutions françaises de manière régulière. Pour qui s’intéresse à l’art, ne pas connaître son travail serait impossible. Il est aussi l’auteur d’une œuvre abondante – dessins, aquarelles, peintures – ce qui facilite cette multiplication d’accrochages, sans lasser le visiteur. 

 

Jean Hélion, Homme assis, 1928, Galerie Alain Margaron

 

A Paris, l’exposition est chronologique. Elle commence par des travaux figuratifs, dont un Homme assis (1928), sobre dans sa composition et dans ses teintes, mais doué d’une forte puissance, à l’image de l’homme représenté. Il est dommage que le volumineux et assez remarquable catalogue de l’exposition ait eu quelques « ratés » dans la reproduction d’œuvres, dont cette toile de grande dimension.

Puis, dès 1929, l’abstraction accapare l’artiste. Il en sera ainsi pendant dix ans. Dans des toiles provenant des musées de Lodz, du Centre Pompidou, du musée Cantini à Marseille ou encore du musée de Grenoble, un rigorisme, fait de lignes verticales et horizontales, qui regarde vers Mondrian, suivi d’une recherche de courbes et de cylindres dans l’espace, se succèdent. La palette est heureuse, plutôt vive et joyeuse. 

 

Jean Hélion, Composition orthogonale, 1929-1930, col. part.


 

Jean Hélion, Composition, 1930, Musée d'Art, Lodz

 

 

Jean Hélion, Composition verticale, Musée Cantini, Marseille

 

1939 est l’autre année de bascule avec le retour à la figuration. En 1943, L’homme à la face rouge serait sans doute, dans cette œuvre faite de revirements, ce qui caractérise le plus l’artiste. Comme un totem. Cet homme au chapeau, peint en noir et blanc, avec juste l’ovale du visage orange, et qui dévisage le visiteur, impressionne. 

 

 

Jean Hélion, Homme à la face rouge, 1943, col. part.

 

 

Des personnages allongés, des hommes qui lisent le journal, des choux et des citrouilles décortiqués, des mannequins de vitrines, un autoportrait au crayon où l’artiste se représente traits tirés, mine lasse, la poésie des toits de Paris, des marronniers dans un square, les thèmes ne manquent pas dans l’œuvre de Jean Hélion. Par-delà cette diversité, on reconnaît l’artiste d’emblée. 

 

 

Revue View, Mai 1946, dessin de couverture Jean Hélion


Jean Hélion, Homme couché, 1950, collection Jacqueline Hélion

 

Il faut ajouter les sujets tirés du métro et des fleuristes, comme dans cette aquarelle de la Galerie SR, de 1967, La marchande de fleurs devant l’entrée du métro où l’on peut voir, dans le fond, le capot d’une DS. C’était l’époque. Dans l’exposition du Musée d’art moderne, La Voiture de fleurs et le boucher (1964), et Métro (1969), font écho à l’aquarelle de la galerie. 

 

Jean Hélion, La voiture de fleurs et le boucher, 1964, Musée d'Art moderne de Paris


Jean Hélion, La marchande de fleurs devant l'entrée du métro, 1967, Galerie SR


Jean Hélion, Métro, 1969, Musée d'Art moderne de Paris

Dans toute œuvre, il est conseillé de soigner, dit-on, son introduction et sa conclusion. Malheureusement, l’ultime salle de l’exposition, qui présente les dernières années de l’artiste, devenu malvoyant – à partir de 1983, il ne pourra plus peindre – sont un peu pénibles. Les thèmes sont toujours là, mais comme repris mécaniquement, sans plus vraiment d’inspiration, et moins bien traités.

Dans Le Tabor et le Sinaï (Editions Belfond, 1988), Michel Tournier a ainsi évoqué l’art de Jean Hélion : « Cette peinture n’est figurative qu’en apparence, en fait c’est davantage une peinture de figuration. Tous ces objets, tous ces personnages sont des figurants, des doublures qui doutent et font douter de leur identité. » C’est juste. Cela expliquerait-il le fait que l’on peut se sentir extérieur à cet art ? Comme si l’artiste ne voulait pas nous faire entrer totalement dans son monde qu’il aurait souhaité – par orgueil ? – garder pour lui.

René Char, André du Bouchet ou Francis Ponge admirèrent l’œuvre de leur ami Jean Hélion. Gloire aux poètes ! Et même si l’on n’entre pas toujours dans cette œuvre, ou qu’elle ne nous touche pas en profondeur, il faut saluer l’art de Jean Hélion qui sut bondir et rebondir à une époque où la peinture était divisée entre abstraits et figuratifs – deux camps qu’Hélion explora sans préjugés, et qu’il marqua de son empreinte. 

 

 

 

Galerie SR

16, rue de Tocqueville

75017 Paris

01 40 54 90 17

galerie.sr@gmail.com